Qui ne le voit pas ? Là où le travail de définition de la notion de branche n’a pas été – durant longtemps – au cœur des préoccupations doctrinales, ledit travail y occupe aujourd’hui une place de choix. Le point est d’autant plus frappant que l’indétermination légale de cette notion, cardinale en droit des rapports collectifs de travail, la caractérise pourtant depuis 1936. Et si la notion de branche est devenue un objet de recherche à (re)considérer, c’est parce que le législateur a initié un dispositif de restructuration – déjà remanié à six reprises – et qu’il s’est emparé à l’occasion de ladite notion pour y loger un projet revisitant sensiblement la conception du système français des relations professionnelles. Avant de relater l’évolution à l’œuvre (2), un retour sur les occurrences habituelles de la notion de branche est nécessaire (1).
1.
Branche – champ
La définition fait consensus : la notion de branche s’entend du champ d’application professionnel défini par la convention collective ; elle est ce que les parties ont voulu qu’elle soit. La définition est pragmatique et elle ne se comprend qu’à l’aune de la réforme initiée en 1950. Depuis, toute convention joue comme un règlement à l’égard des salariés dont l’employeur est membre d’une organisation patronale signataire. Sous le régime initié par le front populaire, les actes qui étaient conclus en dehors du cadre de l’extension demeuraient gouvernés en revanche par l’orthodoxie contractuelle. Ainsi est-il devenu habituel de désigner comme étant de « branche » une convention collective conclue par des groupements professionnels, étendue ou pas. Sinon depuis 1982, la définition du champ d’application professionnel des conventions et accords doit être donnée en termes d’activités économiques (C. trav., art. L. 2222-1). A ce sujet, les prévisions légales n’ont fait que relayer une pratique installée depuis fort longtemps, pratique qui consiste à mobiliser les découpages statistiques (PORTA 2018). Si la compréhension de la « branche-champ » est donc aisée, le point ne saurait cependant pas occulter le rôle initial prêté à la notion de branche lorsqu’il s’est agi, en 1936, de donner corps à l’idée de loi professionnelle.
Branche – cadre de l’extension
« Notion juridique qu’il appartient au ministre (…) de définir » (NICOLAY 1960), l’invention légale de la notion de la branche consiste initialement à assigner une ligne de conduite à la fois aux organisations professionnelles d’employeurs et de salariés représentatives et à l’autorité ministérielle. Les groupements appelés à siéger en commission mixte sont alors tenus par cette notion à raison de l’exigence d’homogénéité qu’elle véhicule : l’acte qu’ils concluent ayant vocation à constituer la loi de la profession, il ne peut donc pas couvrir des activités disparates. Ainsi l’autorité ministérielle doit-elle veiller depuis toujours à ce que les activités couvertes présentent des traits à la fois communs et spécifiques (DURAND et VITU 1956). Plus près de nous, le législateur a sinon admis que l’extension puisse être refusée par le ministre – dont la compétence est discrétionnaire – pour atteinte excessive à la libre concurrence (C. trav., art. L. 2261-25). Rapportée à la procédure d’extension, la notion de branche guide l’exercice du pouvoir réglementaire d’une autre manière encore. Le ministre, pour éviter les abus de frontières, doit contrôler que les activités visées par l’acte extensible ne figurent pas au rang de celles déjà régies par une convention étendue. Ainsi le pouvoir réglementaire doit-il contenir les velléités expansionnistes des organisations d’employeurs et de salariés représentatives appelées à siéger en commission mixte. Référée à la procédure d’extension, la compréhension de la notion de branche n’est donc pas réductible au champ d’application de la convention. Elle joue en ce cas comme une notion instrumentale qui, initialement tout au moins, a aidé à concevoir la part ménagée à l’intervention étatique dans l’élévation de la convention collective au rang de la loi de la profession, loi dont la volonté des organisations patronales et syndicales de salariés représentatives est le foyer créateur. Au fil des réformes, la procédure d’extension a été assouplie (DESPAX 1989) : la branche n’est plus le cadre exclusif de la procédure d’extension ce qui aura certainement contribué à masquer la densité de cette notion sur le plan conceptuel.
Branche – niveau
En faisant place à la conclusion d’accords collectifs d’établissement, la réforme initiée en 1950 a initié une évolution d’ampleur. A dater de cette époque, la notion de branche n’est plus la seule à fournir un cadre de pensée à l’organisation professionnelle des rapports de travail. La branche est aussi dorénavant entendue comme un niveau de conclusion d’un accord collectif. Et quand l’accord entreprise sera pleinement consacré en 1971, la convention de branche aura été concomitamment dévêtue de sa précellence antérieure. Ainsi la branche est-elle devenue un niveau légalement indifférencié. Sur le terrain des accords dérogatoires, la branche va perdre continument l’exclusive, en matière de temps de travail notamment. Après avoir été supplétive dans le rapport qu’elle entretient avec l’accord d’entreprise, la convention de branche est aujourd’hui dotée d’une prévalence presqu’illusoire (C. trav., art. L. 2253-1). Le centre de gravité de la réglementation négociée du travail s’est bel et bien inéluctablement déplacé vers l’entreprise (SOURIAC 2009) et le déclassement de la branche – entendue comme un « niveau » de négociation et de conclusion d’un accord collectif – est patent.
2.
Branches émiettées et création de la « branche professionnelle »
La profusion des conventions et accords de branches résulte du jeu autant de la liberté conventionnelle des organisations professionnelles (branche – champ) que du contentieux de la représentativité patronale initié sur le terrain de l’extension. Et la volonté de mettre fin à l’émiettement qui en résulte figure au premier rang des motifs avancés au soutien d’une réforme ; l’affaissement du rôle normatif des accords de branche en est un autre. Pour le corriger, de nouvelles dynamiques avaient été découvertes sur le terrain sociologique (JOBERT 2003). Sur le terrain juridique, il se sera agi d’initier un modèle inédit de branche (POISSON 2009), modèle qui – pour large partie – est le produit de l’expertise doctrinaire des services du ministère du travail. Mais de quoi est-il question au juste ? Une vision d’ensemble est nécessaire. Car si la restructuration des branches initiée à compter de 2014 – négociée ou bien administrative – a pu focaliser l’attention, elle n’est que l’un seulement des leviers de l’installation du modèle de branche nouvellement imaginé par le législateur. Ainsi pour l’ensemble conventionnel édifié par le regroupement des champs de plusieurs conventions de branche, des arrêtés de représentativité syndicale et patronale sont-ils concomitamment édictés ; enfin, la création de commissions paritaires dites CPPNI accompagne la (re)mise en ordre du tissu conventionnel et l’établissement de la cartographie de la représentativité. Aussi convient-il de placer la focale sur ces trois versants de la création des « branches professionnelles » et cela, non pas pour partir en quête d’une ou plusieurs définition(s) de cette notion mais plutôt pour décrypter la logique de l’opération que ces trois phases mettent en forme.
Edification des nouvelles branches professionnelle
Le regroupement de tels et tels champs conventionnels s’envisage par référence à une convention de branche plus vaste dite convention de rattachement (C. trav., art. L. 2261-32 et s.) dont le choix n’est pas le fait de la volonté des organisations professionnelles mais de celle du ministre. Il le fait en tenant compte de l’analogie des caractéristiques sociales et économiques des champs rattachés avec celles du champ de rattachement, l’opération empruntant à cet égard à la procédure d’extension la rationalité qui a toujours été la sienne (LYON-CAEN 1993), On notera ensuite que si des organisations d’employeurs et de salariés représentatives pour les activités couvertes par les champs concernés par la restructuration proposent une autre branche de rattachement, le ministre n’est pas tenu par cette proposition alternative. In fine, le tracé de l’aire conventionnelle de cette opération procède de la décision administrative. De la sorte, la notion de branche sert donc de support à l’interventionnisme étatique ; l’équilibre entre hétéronomie et autonomie n’est pas nécessairement recherché ce qui – du fait de l’objectif d’intérêt général poursuivi – n’aura pas tellement gêné le Conseil constitutionnel (Cons. const. 29 nov. 2019, n° 2019-816 QPC).
Ediction des arrêtés de représentativité
L’édiction des arrêtés de représentativité (C. trav., art. L. 2122-11 et L. 2152-6) est un autre moyen de la (ré)organisation administrative des relations professionnelles. Les arrêtés de représentativité des organisations syndicales de salariés et des groupements professionnels d’employeurs ont en principe la « branche professionnelle » – c’est-à-dire celle issue des restructurations – pour cadre d’édiction ; sur ce terrain d’ailleurs, les approximations du législateur ont été aplanies en opportunité par le Conseil d’Etat (CE 4 nov. 2020, n°434518 et 434519). Et si la réforme de la représentativité patronale initiée en 2014 – concomitamment à l’initiation légale des restructurations – doit être ici mentionnée, c’est parce qu’elle aboutit à tarir le contentieux de la représentativité des organisations d’employeurs conviées à la négociation de la convention extensible, contentieux dont la procédure d’extension est le terreau originel (GADT, 2008). Ainsi est-ce l’une des composantes du rôle habituellement joué par la notion de branche rapportée à ladite procédure qui se trouve éclipsée de la sorte.
Installation de CPPNI
Si cet autre dispositif (C. trav., art. L. 2232-9) procède d’une méthode d’organisation à proprement parler c’est bien parce qu’il consiste à affubler la branche d’un organe de représentation. Paritaire, sa mise en place est le fait d’un accord collectif dont l’absence figure d’ailleurs parmi les critères de déclenchement d’une restructuration. De quelle marge de manœuvre les organisations d’employeurs et de salariés représentatives disposent-elles ? Est-ce une unique CPPNI qui doit être créée par branche restructurée, autrement dit par « branche professionnelle » ? Ce n’est pas certain d’autant plus que le sort réservé à la liberté contractuelle des organisations professionnelles d’employeurs et de salariés représentatives est ici en cause (Soc., 21 avr. 2022, n° 20-18.799 et 20-18.820). A ce sujet d’ailleurs, il s’observe que la CPPNI est légalement chargée de représenter la « branche » stricto sensu et non pas la « branche professionnelle ». Plus avant, c’est dans l’appui aux entreprises et vis-à-vis des pouvoirs publics que la CPPNI se voit ainsi chargée de représenter la branche (Adam, 2017). Et comme la branche a quant à elle pour missions de négocier les conditions d’emploi et du travail et de réguler la concurrence (C. trav., art. L. 2232-5-1), on se demande si c’est d’une autre attribution de la CPPNI dont il serait finalement implicitement question. En tout état de cause, le législateur lui a aussi confié des rôles de conseil, de renseignement et d’information (C. trav., art. L. 2232-9, II). La CPPNI a également vocation à remplacer la commission mixte paritaire dans le cadre de la procédure d’extension (C. trav., art. L. 2261-19). Ainsi devient-elle le cadre permanent – quoi que sa composition puisse évoluer à chaque cycle de mesure de la représentativité – de la conception de la loi professionnelle. Au final, c’est donc une forme de personnification de la branche professionnelle ou bien de l’un ou l’autre de ses sous-ensembles que la CPPNI initie, le pas consistant à lui attribuer de la personnalité morale n’ayant pas été (encore ?) franchi (BUGADA 2019).
Conclusion. En tout état de cause et par-delà le flou légal, oui assurément : c’est bien d’une branche conçue de manière fonctionnelle dont il est finalement question (BARTHELEMY, CETTE, KOUDADJE, 2020). Mais qu’importe en réalité la découverte d’une définition … dans la mesure tout au moins où il s’observe avant tout que ce nouveau modèle de branche est le véhicule d’une organisation professionnelle placée sous la houlette de l’autorité étatique. On s’interroge. Quelle est la place véritablement ménagée à la liberté contractuelle dans un tel système ? Que devient la conception militante de l’action des syndicats de salariés représentatifs, action dorénavant conviée à se couler dans un organe paritaire agissant en relai des politiques publiques tout en étant tournée vers le service aux entreprises ? Le néo-corporatisme qui innerve la conception de la (nouvelle) branche professionnelle laisse songeur.
ADAM P., « L’accord de branche », Dr. soc. 2017, p. 1039
BARTHELEMY J., CETTE G., KOUDADJE G., « La restructuration des branches professionnelles : pertinence économique, régime juridique et difficultés de conception », Dr. soc. 2020, p. 455.
BUGADA A., « La primauté stratégique de la branche (Un autre regard sur l’ordre des choses) », La Semaine Juridique Social n° 15, 16 Avril 2019, 1115.
DESPAX M., Négociations, conventions et accords collectifs, t.7, 2ème éd., Dalloz, 1989.
DURAND P. et VITU A., Traité de droit du travail, t. 3, Dalloz, 1956
LYON-CAEN A., « Grandeur et décadence de la loi professionnelle, in Les conventions collectives de branche : déclin ou renouveau, CEREQ, Étude n° 65, nov. 1993, p. 53.
POISSON J.-F., Rapport sur la négociation collective et les branches professionnelles, La Documentation française, 2009
PORTA J., « La branche professionnelle : déconstruction et restructuration », Dr. ouvrier 2018, p. 570
SOURIAC M.-A., Les réformes de la négociation collective, RDT 2009, p. 14.
Sophie Nadal
Décembre 2022