Nom masculin ; figure majeure de la politique française d’immigration.
Définition : un travailleur étranger est celui qui, n’ayant pas la nationalité française ou la nationalité d’un Etat membre de l’Union européenne ou d’un Etat qui y est assimilé, accomplit une prestation de travail salariée en France, sous couvert d’un statut encadré.
Synonymes : travailleur immigré ; travaillant migrant ; migrant économique.
Le terme de travailleur immigré, désignant celui qui quitte son pays pour aller travailler dans un autre et donc ciblant le déplacement et non la nationalité, est tombé en désuètude (ou presque). La Convention européenne relative au statut juridique du travailleur migrant parle de « travailleur migrant » pour viser le « ressortissant d’une partie contractante qui a été autorisé par une autre partie contractante à séjourner sur son territoire pour y occuper un emploi salarié ». Le terme de « migrant économique » contient un sens péjoratif car il tend à disqualifier les demandes d’asile.
Notons que le travailleur est parfois une « travailleuse ».
Le travailleur étranger traverse la politique française d’immigration depuis que la France s’en est officiellement dotée d’une, soit en 1945. Il est celui dont l’économie a, selon les époques, besoin, énormément, modérément ou plus du tout. L’ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France met en place plusieurs titres, séparant droit au séjour et droit au travail, et l’ONI – office national d’immigration – est missionné pour orchestrer la venue des travailleurs étrangers. Les employeurs, à l’étroit dans ce dispositif, s’organisent pour aller chercher eux-mêmes les personnes étrangères. A la fin des années soixante, près de 70 % des travailleurs étrangers sont régularisés une fois arrivées en France, autrement dit ne passent pas par la procédure d’introduction imaginée par les pouvoirs publics.
De 1945 – mais on pourrait en réalité remonter bien avant la Libération – à nos jours, les travailleurs étrangers suivent les vicissitudes de la situation économique, sociale et politique de la France. Ils sont, selon les périodes, souhaités, choisis, indésirés ou rendus invisibles. Le tout sous couvert de politiques revendiquées, de pur affichage ou particulièrement hypocrites.
Attirer les travailleurs ou leur fermer la porte
Le travailleur étranger est espéré quand la France a besoin de bras pour se reconstruire à l’issue de la seconde guerre mondiale. L’approche utilitariste de l’immigration est déjà de mise. Ainsi Georges Mauco, auteur d’une thèse en 1932 intitulée « Les étrangers en France, leur rôle dans l’activité économique », et qui va jouer un rôle majeur dans la politique d’immigration jusqu’en 1970 en tant que membre du premier secrétariat d’état à l’immigration (1938) puis secrétaire du Haut comité de la population et de la famille, prône la venue de la main d’œuvre étrangère en cas de besoin des entreprises et la nécessité de la faire repartir en période de crise économique. Il entendait aussi promouvoir un ordre de désirabilité en fonction des nationalités, considérant que certains avaient du mal à s’intégrer (« à s’assimiler » comme on disait alors). Avec à la clé, un important contrôle de l’État. Le gouvernement ne retiendra pas toutes ses propositions. Mais l’idée de planifier les entrées sur le territoire et de lier l’accès au marché du travail de la main d’œuvre étrangère et la situation économique est inscrite dans les textes. La distinction entre droit au séjour dépendant des préfets et du ministère de l’intérieur et droit au travail, matérialisée par la délivrance d’une « autorisation de travail », relevant de la compétence du ministère du travail, va demeurer dans notre réglementation.
Promouvoir l’immigration de travail va revenir sur le devant de la scène au milieu des années 2000. Ainsi le maître mot du projet de loi porté par Nicolas Sarkozy, alors qu’il est ministre de l’intérieur, est d’en finir avec « l ‘immigration subie » – l’immigration familiale est particulièrement visée – et de promouvoir « l’immigration choisie », l’objectif affiché étant de sélectionner les personnes les plus qualifiées et celles qui apparaissent le plus utile à l’économie. La loi du 24 juillet 2006 prévoit une reprise officielle de l’immigration de travail, sous couvert de listes de métiers en tension, et la création d’un titre « compétences et talents » pour attirer les investisseurs et les personnes hautement qualifiées (la carte « compétences et talents » devenant plus tard « passeport talent »). Dans une lettre de mission adressée à Brice Hortefeux, le même, devenu président de la République, écrit : « Notre pays (…) doit accueillir des étrangers auxquels il peut donner un travail, qui ont besoin de se former en France ou qui répondent à ses besoins économiques » (Lettre du 9 juillet 2007). Il est annoncé dans le même temps la création d’un ministère de l’immigration, qui récupère dans son giron le regroupement familial et le volet « autorisation de travail ». Depuis les listes de métiers sont restées en place. Et après une réforme opérée en catimini par voie réglementaire en 2021 pour faciliter l’octroi des autorisations de travail, le gouvernement entend à nouveau revoir le dispositif avec la mise en place d’un nouveau titre de séjour « métier en tension ». Cette carte pourrait être (notamment) attribuée aux demandeurs d’asile venant de pays en conflit et dont on aurait la quasi-certitude qu’ils obtiendront le statut de réfugié…. Et pour celles et ceux qui, sans papier et donc sans y être autorisés, exercent un métier où les difficultés de recrutement sont notoires et reconnues, on parle de « régularisation choisie ». On vise ici des secteurs entiers comme le BTP, les cafés, l’hôtellerie et la restauration, la propreté ou encore les services à la personne. Cela n’a rien d’innovant. Mais les mots claquants, les slogans ou autres phrases « choc » sont habituels quand il est question d’immigration. Par miracle, les politiques redécouvrent des mesures qu’ils ont souvent votées dans le passé, pour les dénoncer… En droit de l’immigration, la mémoire est défaillante.
Le travailleur étranger est devenu indésiré au temps venu du choc pétrolier et de l’augmentation du chômage. L’arrêt de l’immigration de travail est décrété en juillet 1974, avec l’accord de gros employeurs de main d’œuvre étrangère et de plusieurs syndicats de salariés. Pour autant, il n’est pas question de renvoyer les personnes étrangères déjà installées sur le territoire national. Auparavant, les circulaires dites Marcellin-Fontanet des 24 janvier et 23 février 1972 avaient mis fin à la possibilité pour les étrangers arrivés comme touristes de régulariser leur situation administrative, comme c’était la pratique jusqu’alors. Ce moment marque un tournant dans la politique de l’immigration jusqu’alors en place, fût-elle « subie » (au sens de non maîtrisée). Le décret du 21 novembre 1975 adopte formellement la règle dite de l’opposabilité de l’emploi, voulant que l’instruction de l’autorisation de travail repose sur une évaluation des offres et demandes des emplois au regard de la demande formulée par l’employeur. Ainsi jusqu’à la réforme précitée de 2021, les autorités compétentes pour accorder l’autorisation de travail devaient examiner la demande « compte tenu des spécificités requises pour le poste considéré, et les recherches déjà accomplies par l’employeur auprès des organismes concourant au service public de l’emploi pour recruter un candidat déjà présent sur le marché du travail ». Cette exigence conduisait les services de la main d’œuvre étrangère à appuyer leur évaluation sur les statistiques de l’emploi fournies par le ministère du travail ou l’enquête effectuée par Pôle emploi auprès des employeurs pour mesurer le taux de tension du métier. Depuis le 1er avril 2021, l’employeur doit démontrer que l’emploi pour lequel l’autorisation est souscrite a fait l’objet d’une offre « préalablement publiée pendant un délai de trois semaines auprès des organismes concourant au service public » et que cette offre « n’a pu être satisfaite par aucune candidature répondant aux caractéristiques du poste de travail proposé » (C. trav., art. R. 5221-20).
La figure du travailleur migrant jusqu’au milieu des années 2000 n’étant pas bienvenue, les opérations ponctuelles de régularisation ont touché les personnes étrangères qui pouvaient faire valoir des attaches familiales et privées en France : conjoints et parents français (1996) ou encore parents d’enfants scolarisés dans une école française (2006). Le fait de travailler en France ne comptait pas alors parmi les critères ouvrant la voie à une admission exceptionnelle au séjour.
Le travailleur est invibilisé lorsqu’il occupe un emploi sans autorisation de travail. Depuis 1993, une personne étrangère ne peut en principe être affiliée à un organisme de sécurité sociale quand elle ne dispose pas d’un titre de séjour l’autorisant à exercer une activité salariée en France. Auparavant, le travailleur sans papier pouvait cotiser et percevoir en retour les prestations sociales. Ce changement n’a pas empêché les personnes étrangères dépourvues d’autorisation de travail d’exercer des tâches et d’occuper un emploi… mais elles les ont condamnées au travail dissimulé. Du moins une partie d’entre elles. Car une part importante de travailleurs en situation administrative irrégulière est déclarée, perçoit des bulletins de salaire et paie des cotisations sociales. Parce qu’ils n’ont pas toujours été sans papier ou parce qu’ils travaillent avec la carte d’un autre.
Avec ou sans autorisation de travail
Le travailleur étranger a deux visages sur le plan juridique selon qu’il a ou non des papiers. Il faut toutefois nuancer cette dichotomie car on peut être sans autorisation de travail et être traité par le code du travail, voire par le juge, comme un travailleur ordinaire. Tout dépend de la nature du contentieux et du cadre dans lequel s’exerce la prestation. L’employeur peut ignorer une situation administrative irrégulière ou la connaître et faire semblant de ne pas savoir. La frontière entre les situations administratives – de la régularité à l’irrégularité ou inversement – est parfois poreuse ; la situation de la personne étrangère est fragile car le droit de travailler (et le droit de séjourner) peut se perdre en cas de perte d’emploi. Elle repose sur la possession ou non d’une autorisation de travail, formalisée le plus souvent par une mention apposée sur la carte de séjour elle-même ou le récépissé. Cette autorisation se gagne au prix d’une procédure placée entre les mains de l’employeur… sauf lorsque le titre vaut directement autorisation de séjour et de travail. La procédure en question est dématérialisée et transite par des plateformes, laissant le travailleur étranger en dehors du traitement de son dossier.
Le travailleur étranger doté du droit d’exercer une activité salariée en France ne dispose pas d’un statut spécifique au regard du droit du travail. Il s’agit d’un travailleur « comme un autre », bénéficiant des mêmes droits, tant sur le plan individuel que collectif, que le travailleur français. Il ne peut du reste être discriminé du fait de son extranéité. L’appartenance ou la non-appartenance à une nation compte parmi la petite trentaine de critères illicites de l’article L. 1132-1. S’il peut devenir un représentant du personnel ou être désigné comme délégué syndical, il ne peut toutefois exercer la fonction de conseiller prud’homal, la loi de 1975 ayant maintenu la condition de nationalité pour exercer un tel mandat. Pour cette même raison, il ne peut accéder aux emplois de la fonction publique comme titulaire et certains métiers du secteur privé lui restent fermés. Ce travailleur « comme un autre » a toutefois intérêt à respecter la mention figurant sur sa carte et à ne pas perdre son emploi…
Le sort du travailleur sans papier
Le code du travail réserve, en revanche, un régime de prime abord protecteur aux travailleurs étrangers dépourvus d’autorisation. Le législateur, en 1981, leur a reconnu des droits en les assimilant à des salariés régulièrement engagés au regard de plusieurs obligations patronales, comme celles liées au respect des durées du travail et des dispositions relatives à la santé et à la sécurité. Ils doivent également être normalement rémunérés, l’article L. 8252-2 posant de surcroît une présomption d’ancienneté de trois mois. Enfin, au titre de la rupture du contrat, le travailleur peut percevoir une indemnité spécifique et forfaitaire de trois mois de salaire. « De prime abord » car plusieurs critiques accompagnent ces mesures et leur mise en musique. En premier lieu, le recours au juge constitue un premier obstacle que la personne isolée peine à franchir. Certes, elle ne risque pas d’être interpellée dans l’enceinte de la juridiction prud’homale, mais accéder aux droits suppose de prouver la réalité de l’emploi. Et la pratique indique que ce n’est pas chose aisée. En deuxième lieu, la Cour de cassation a décidé de mettre à l’écart le droit du licenciement, considérant que l’absence d’autorisation de travail constituait une cause objective de rupture. Or cette mise à l’écart est discutable sur le plan éthique et juridique : d’une part elle ignore les difficultés auxquelles se heurtent les personnes étrangères lors des renouvellements de titre et la façon dont certains employeurs se saisissent de cette opportunité pour rompre le contrat de travail (c’est bien commode après 10, 20 ou 30 années d’ancienneté); d’autre part, l’article L. 8252-1 ne s’applique que dans l’hypothèse où il y a eu emploi illicite et ne saurait concerner les situations où l’autorisation de travail n’est pas renouvelée. En troisième lieu, on ne peut souscrire à la jurisprudence qui ne permet pas aux salariés sans autorisation de travail et employés dans le cadre d’une activité occulte, de pouvoir cumuler l’indemnité forfaitaire de trois mois et celles de six mois prévue pour travail dissimulé. Enfin, le législateur a imaginé, sans qu’il soit nécessaire d’aller devant le juge, un dispositif inédit de recouvrement des créances salariales dès lors que l’emploi illicite a été constaté par l’administration. Il appartient à l’OFII – office français de l’immigration et de l’intégration – de s’en charger. Or il s’en désintéresse complètement. Bref les sanctions pesant sur les employeurs peu scrupuleux sont bien légères – les sanctions pécuniaires restent limitées et le risque pénal éloigné – , comparativement aux dangers qui pèsent sur celles et ceux travaillant pour eux.
Novembre 2022
BAILLY et GROUPE D’INFORMATION ET SOUTIEN DES IMMIGRES (GISTI), « Le travailleur sans papiers peut-il se prévaloir des règles sur le licenciement ? », RDT 2011, Controverse , p. 221
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Nathalie Ferré
Décembre 2022