Première définition opérationnelle. L’activité partielle se définit comme un mode de suspension temporaire du contrat de travail à l’initiative de l’employeur, pour des motivations d’ordre économique, permettant la prise en charge partielle des rémunérations des salariés via différentes caisses, et différents financements. L’activité partielle est donc, traditionnellement, conçue comme un dispositif visant à sauver le contrat de travail du salarié, et empêcher sa rupture via une période, plus ou moins longue, de suspension.
Précision de vocabulaire. La locution d’activité partielle s’est substituée, depuis 2012, à celle de chômage partiel. Il convient de les considérer comme synonymes, tout en insistant sur l’évolution progressive de la conception juridique de l’utilité de ce dispositif.
Si la caractéristique juridique principale de l’activité partielle, à savoir un mode de suspension du contrat de travail, est restée inchangée, le dispositif a reçu, au cours de son histoire, diverses justifications. Le législateur lui a en effet assigné différents objectifs, qui se cumulent aujourd’hui, parfois de manière problématique. Ce mécanisme, connu uniquement prioritairement avant 2020 par les juristes et les praticiens des ressources humaines, a acquis une forte notoriété pendant la première période de confinement liée au Covid-19, concernant, pendant quelques semaines, plusieurs millions de salariés. Depuis 2020, on peut dire que l’activité partielle est à la fois une alternative au chômage total, une alternative au licenciement économique, et un dispositif visant à protéger financièrement les salariés mais aussi les employeurs.
Une alternative au chômage total
Le chômage partiel a été pratiqué en France dès la fin du 19ème siècle (BERAUD et alii, 1994 ; NEIDINGER, 1975), il est réglementé de manière précise en 1951 (Décret n°51-319 du 12 mars 1951) en même temps que le régime d’attribution d’allocations chômage.
Ce décret fixe pour la première fois des conditions d’attribution des allocations de chômage partiel. Plusieurs circonstances concourent à cette réglementation. Tout d’abord, pendant cette période, la sécurité énergétique n’est toujours pas garantie, avec de nombreuses ruptures d’approvisionnement de charbon ou de pétrole pouvant paralyser temporairement la production. En outre, la France s’inspire certainement du droit italien qui, dès 1941, face aux bombardements des usines, créé un dispositif dit de cassa integrazione guadagni, c’est-à-dire de caisse financée par l’Etat chargée de prendre en charge les rémunérations des salariés le temps de la remise en état des usines (DALMASSO, 2013).
Ainsi, le décret de 1951 prévoit, dans son article 3, que des allocations peuvent être allouées « aux chômeurs qui, tout en restant liés à leur employeur par un contrat de travail subissent une perte de salaire du fait, soit de la fermeture temporaire de l’établissement qui les emploie, soit de la réduction de l’horaire de travail habituellement pratiqué ». Dans cette première réglementation, la notion de chômage partiel est étroitement liée à la notion de chômage, et se définit par rapport à celle-ci. Le but est d’éviter le chômage total, à savoir la rupture du contrat, en le remplaçant par du chômage partiel, provoquant une simple suspension de celui-ci.
Les motifs de recours au chômage partiel, mentionnés par l’article 34 du décret sont au nombre de trois : manque de matière première ou de combustible, manque généralisé de débouché, et sinistre. Le décret prévoit expressément le financement d’une (faible) allocation spécifique de chômage partiel à la charge de l’Etat, octroyée après une autorisation préalable du directeur départemental du travail et de la main d’œuvre. Dans cette conception originelle, le dispositif est créé pour prioritairement protéger le salarié du chômage total en sauvegardant son contrat de travail. Ce n’est que plus tard, et notamment de manière très explicite avec la notion d’activité « partielle », que l’adjectif ne servira plus à faire référence à la suspension du contrat mais à la durée du travail, encourageant le maintien d’une activité effective, même à horaire réduit.
Une alternative aux licenciements économiques
La justification du chômage partiel va cependant évoluer dès les années 1960. Progressivement, le chômage partiel est appréhendé comme une alternative aux ruptures pour motif économique.
Un décret de 1967 (Décret n°67-806 du 25 septembre 1967) précise et redéfinit le dispositif de chômage partiel, en réglementant les conditions dans lesquelles sont versées les allocations d’aide publique en cas de chômage partiel ou technique. Le décret précise qu’elles sont versées à la suite de difficultés dues « à la conjoncture économique, ou d’approvisionnement en matière première ou d’énergie, ou encore en cas de sinistre ». Avec, comme mention prioritaire de la conjoncture économique comme motif de recours, le droit du chômage partiel évolue en fait en parallèle des problématiques par les entreprises : les événements courts et imprévisibles comme une rupture de matière première ou de combustible s’estompent dans la France des Trente Glorieuses. Par contre, la croissance économique globale n’empêche pas des faillites ou restructurations d’entreprise pour raison économique, justifiant une plus grande prise en compte de ce motif.
Le chômage partiel est profondément remanié par la loi n°75-5 du 3 janvier 1975 relative aux licenciements pour cause économique. L’évolution est notable : s’éloignant du droit du chômage, le chômage partiel se définit dorénavant par rapport au droit du licenciement économique, dont il va souhaiter être une alternative. Il est ainsi précisé, juste après la définition du licenciement économique, dans l’article L.322-11 du code du travail de 1975, qu’en vue « d’éviter des licenciements pour cause économique (…) des actions de prévention peuvent être engagées (…). Ces actions peuvent comporter notamment la prise en charge partielle par l’Etat (…) des indemnités complémentaires dues aux travailleurs victimes d’une réduction d’activité en dessous de la durée légale du travail ». L’article R.351-36 énonce les hypothèses pour lesquelles ces allocations peuvent être versées. Elles reprennent les conditions fixées en 1967, à savoir un sinistre, des difficultés d’approvisionnement en matière première ou en énergie, ou la conjoncture économique, mais, dès lors que le dispositif devient alternatif au licenciement, le motif de « conjoncture économique » a vocation à revêtir un sens plus large. En 1975, le dispositif du chômage partiel change de logique, et devient principalement une législation de crise économique. Ainsi, les dispositifs de chômage partiel et de licenciement économique sont construits avec une approche comparable impliquant un contrôle important de l’Etat. Cette intervention de l’Etat, concernant les deux dispositifs, est à l’époque similaire : dans les deux cas, l’entreprise ne peut décider seule. Elle doit préalablement demander une autorisation à la direction départementale du travail et de l’emploi, ou, le cas échéant, à l’inspection du travail. Enfin, le droit du chômage partiel, présenté comme alternatif au droit du licenciement économique, concerne nécessairement, pour sa plus grande part, les mêmes hypothèses d’application.
Une protection des salariés, mais aussi des employeurs
Pendant la crise sanitaire de 2020, une grande partie de la population active française se retrouve confinée. Pour garantir un revenu à ces salariés, le mécanisme d’activité partielle s’impose. Le législateur et le gouvernement interviennent cependant en urgence afin d’instaurer, parallèlement à la protection des salariés, une protection financière des employeurs. Un décret et une ordonnance sont adoptés les 25 et 27 mars 2020. De ces deux textes, 3 caractéristiques ressortent : intégrer un spectre le plus large possible d’entreprises susceptibles d’être concernées, alléger le contrôle administratif et soutenir financièrement les entreprises.
L’ordonnance du 27 mars 2020, prise en application de l’article 11 de la loi d’urgence n°2020-290 du 23 mars 2020, a essentiellement pour but d’élargir le champ d’application de l’activité partielle. Ainsi les particuliers employeurs, les entreprises publiques embauchant des salariés de droit privé et s’assurant elles-mêmes contre le risque de chômage, les entreprises étrangères employant sur le territoire national des salariés tout en ne comportant pas d’établissement en France peuvent désormais bénéficier du dispositif. L’ordonnance étend aussi ce dispositif à certaines catégories de salariés comme les assistants maternels, les salariés en contrat d’apprentissage ou de professionnalisation, ou encore certains salariés saisonniers. Il s’agit ici d’élargir au maximum les possibilités de recourir à l’activité partielle en intégrant des salariés auparavant exclus, soit du fait de leur statut, soit du statut de leur entreprise. Cette extension est favorable aussi bien aux employeurs qu’aux salariés. Ces employeurs bénéficient d’aides inédites, mais les nouveaux salariés concernés sont également les bénéficiaires indirects de ce régime qui leur évite un licenciement.
Un soutien financier inédit des employeurs. Le dispositif exceptionnel mis en place pendant le Covid-19 est, de manière résumée, le suivant.
D’un point de vue procédural, la demande d’activité partielle est simplifiée et dématérialisée. L’employeur plaçant ses salariés en activité partielle doit continuer à payer ses salariés au minimum à hauteur de 70% de sa rémunération antérieure brute, soit environ 84% du salaire net. Il doit normalement dès la mise en activité partielle effectuer une demande d’autorisation dématérialisée, disposant cependant dorénavant d’un délai de 30 jours pour faire cette demande, avec effet rétroactif. La demande doit préciser le motif de recours, à savoir la circonstance exceptionnelle liée au coronavirus, les circonstances détaillées et la situation économique à l’origine de la demande, la période prévisible de sous-emploi, le nombre de salariés concernés et le nombre d’heures chômées prévisionnelles. L’admission au chômage partiel demeure liée à une autorisation administrative rapide : dans les 48 heures suivant la demande la Direccte devait notifier par courriel d’acceptation ou de refus. L’absence de réponse vaut acceptation.
A l’échéance habituelle de la paie, l’employeur doit rémunérer ses salariés à hauteur de 70% de leur rémunération brute, et effectuer une demande d’indemnisation en ligne. Une note d’information éditée par le ministère du travail précise que l’allocation est versée à l’entreprise par l’Agence de service et de paiement dans un délai moyen de 12 jours (Dispositif exceptionnel d’activité partielle Coronavirus Covid-19, p.5). Cette note précise surtout que « le reste à charge pour l’entreprise est donc nul pour les salariés dont la rémunération n’excède pas 4,5 SMIC ». Si, pour cette crise, les salariés n’ont donc pas été mieux indemnisés de leurs heures chômées que par le passé, le changement, pour les employeurs, est substantiel. Ils n’ont plus du tout participé au financement du dispositif pour leurs salariés dont la rémunération se situe en deçà de 4,5 SMIC, soit dans l’immense majorité des cas (V. art. R.5122-12 et D. 5122-13 C. trav). L’Etat, mais aussi l’Unedic, se sont substitués à l’employeur pour prendre en charge ces indemnités d’activité partielle.
Un contrôle simplifié. Le décret du 25 mars 2020 a également largement simplifié la procédure d’admission au chômage partiel pour l’employeur. Tout d’abord, la formalité de consultation du comité économique et social est allégée (Art. R.5122-2 C. trav ), l’employeur disposant dorénavant d’un délai de 2 mois pour effectuer cette consultation et transmettre son avis à l’administration. De plus, l’employeur a pu disposer d’un délai de 30 jours après avoir placé ses salariés en activité partielle pour adresser sa demande de prise en charge, lorsque la demande est justifiée par le motif des circonstances exceptionnelles liées à la pandémie. Enfin, et c’est certainement le point le plus important, jusqu’au 31 décembre 2020, le délai d’acceptation par l’administration des demandes d’autorisation préalable a été ramené de 15 à 2 jours, rendant les contrôles effectifs presque impossibles, et rappelant l’éphémère suppression des contrôle préalables au chômage partiel instauré en 2012 (KARVAR et SCHECHTER, 2012).
Un grand nombre de ces dispositions, notamment financières, ont cessé à la fin de l’année 2021, marquant la fin du « quoi qu’il en coûte ». Par ailleurs, depuis une loi et un décret adoptés à l’été 2020 (loi 2020-734 du 17-6-2020 art. 53 ; décret 2020-926 du 28-7-2020 art. 9 et 10), le législateur tente de favoriser un dispositif plus long, mais moins coûteux pour l’Etat, d’activité partielle de longue durée (APLD), devant être mis en place suite à un accord d’entreprise (CHATARD, OLLIVIER, 2021).
BERAUD M., LEFEVRE G., SIDHOUM N., Le recours des entreprises au chômage partiel, La documentation française, 1994.
CHATARD D., OLLIVIER M., « L’activité partielle de longue durée », JCP S. 2021, étude 1097.
DALMASSO R., « les ambivalences des dispositifs de chômage partiel en temps de crise », in L’emploi en temps de crise, C. Spieser (Dir.), ed. Liaisons 2013 p.205-222.
DALMASSO R., « Les trois âges de l’activité partielle », Droit social, 2020, 612.
LAFORE R.,, « Le système de protection sociale à l’épreuve du Covid 19 : des constats et quelques enseignements », Revue de Droit sanitaire et social, 2020. 981
LOKIEC P.,, « Le chômage partiel : pour une autre approche », Droit social, 2009. 393
NEIDINGER J., « Le chômage partiel : évolution de sa réglementation », Droit social, juin 1975, numéro spécial, p.107-108
POLI D., « Le chômage partiel total ou comment licencier sans s’embarrasser de procédure », Droit social, 1985, p. 294.
SIGNORETTO F., « Le chômage partiel total », Droit ouvrier, 1986, p. 1.
SILHOL B., Le chômage partiel, LGDJ, 1998
Raphaël Dalmasso
Décembre 2022