Du verbe cotiser, lequel émerge au 16ème siècle en matière fiscale pour désigner le fait de soumettre une quote-part à une taxe, le terme de cotisation va connaître à partir du 19ème siècle une prospérité certaine. Dans la première moitié du siècle considéré, la cotisation semble d’abord être revêtue d’une forte dimension symbolique en ce qu’elle est entendue comme œuvre de participation à une dépense commune sans que ne lui soit assignée une technique particulière ou qu’elle soit réservée à un domaine limité. Cette dimension va être renouvelée grâce à l’essor de la mutualité qui se réalise à partir des années 1850, laquelle est fondée sur le diptyque adhésion-cotisation. La cotisation demeure encore aujourd’hui fortement associée à l’idée de participation au bien commun notamment dans le milieu associatif. Sa mobilisation par le mouvement mutualiste, qui gère alors essentiellement les frais de santé (malgré quelques tentatives infructueuses en matière retraite) selon la technique de la répartition, attache durablement la cotisation à celle-ci et au domaine de la protection sociale. La gestion en répartition d’un risque consistant pour l’organisme assureur à affecter la masse des cotisations de l’exercice au règlement des sinistres survenus au cours de celui-ci, les cotisations sont versées au fond commun mutualisé sans que le cotisant puisse en retirer le produit en cas d’absence de réalisation du risque. Et si aujourd’hui, en droit des assurances, le montant de la cotisation est déterminé en fonction du risque au terme d’un savant calcul actuariel, celle-ci est au temps de la prévoyance libre essentiellement fonction des capacités contributives de l’adhérant-bénéficiaire. C’est ainsi que la cotisation revêt, après avoir été popularisée par la mutualité, une triple dimension, symbolique, organique et technique. Mais c’est surtout sa reprise comme technique de financement dans le cadre de la construction de ce que l’on dénomme aujourd’hui « l’État-providence » qui va faire accéder la cotisation à la postérité.
Le début du 20ème siècle voit, en effet, les autorités publiques organiser la prise en charge socialisée, pour les classes laborieuses, du risque social avec l’adoption des lois d’Assurance sociale. Dans un premier temps, limitées à certains risques et à certaines catégories professionnelles, les assurances sociales vont faire l’objet d’un développement graduel jusqu’à la Seconde Guerre mondiale sans qu’elles n’effacent pour autant d’autres mécanismes de protection sociale comme l’assistance sociale ou la prévoyance libre. Mais, dès les premières lois d’Assurance sociale, un choix est fait par les autorités publiques : celui d’une affiliation obligatoire des personnes visées en contrepartie d’une contribution de ces dernières au financement des assurances sociales. Une question essentielle se pose alors : comment faire participer financièrement l’ensemble des assurés par une cotisation obligatoire assise sur des revenus du travail généralement d’un faible montant et qui constituent l’essentiel de leurs moyens de subsistance ? Dans la mesure où le cercle des personnes protégées correspond alors aux salariés de l’industrie et du commerce ainsi que du secteur agricole, il apparaît nécessaire d’associer l’employeur au financement des assurances sociales afin de répondre au défi financier que leur institution représente. Cette participation de l’employeur n’est toutefois pas suffisante. La solution trouvée par les autorités publiques consiste à opérer une substitution entre la proportionnalité de la prime au risque pratiquée en matière assurantielle par la proportionnalité des cotisations aux revenus salariaux. C’est ainsi que les parties au contrat de travail concernées par cette législation sociale nouvelle se trouvent assujetties à une contribution créée spécifiquement et assise sur le salaire : la cotisation sociale. Cette mise en proportionnalité des cotisations aux revenus salariaux est au fondement de la relation travail-cotisation-prestation qui se situe au cœur des assurances sociales puis de la Sécurité sociale. La technique sera par la suite étendue aux contributions ultérieures créées en référence aux cotisations sociales, quand bien même certaines ne sont pas créatrices de droits. Ce faisant, la cotisation sociale devient un enjeu durable de pouvoir en ce qu’elle justifie pour les assujettis, employeur et salarié, un droit à la gouvernance des organismes destinataires des sommes prélevées.
Si l’invention de la cotisation sociale répond à des considérations politiques (refonder le pacte républicain), morales (inculquer le goût de la prévoyance à la classe ouvrière et le sens de leur responsabilité sociale aux employeurs) ou encore techniques (mobiliser le modèle de la prévoyance libre), ce sont surtout celles d’ordre financier qui ont emporté la conviction du législateur lors des premières lois d’Assurance sociale. En effet, celui-ci est face à une contradiction : il ambitionne de développer un système de garanties sociales à l’échelle de la Nation sans pour autant grever les finances de l’État. Cette volonté de préserver le budget de l’État se retrouve également s’agissant des techniques de recouvrement à mettre en œuvre pour le prélèvement des cotisations sociales. En conséquence, le recours à l’administration fiscale est écarté, car considéré comme étant trop coûteux. Plus précisément, cette logique financière, qui se meut en une logique d’économie de moyens, entre en convergence avec d’autres facteurs tels que la crainte du monde syndical de voir le produit des cotisations être absorbé par l’État et celle du patronat quant à l’entrée du percepteur dans la « fabrique ». À ceci, il faut ajouter l’expérience offerte par la prévoyance libre en matière de recouvrement qui, malgré sa diversité et ses nombreux insuccès, est utile puisqu’il s’agit de mettre en œuvre une assurance, quoiqu’altérée dans ses principes. En conséquence, sur le plan organique et financier, les autorités publiques optent pour l’organisation du recouvrement des cotisations sociales selon des règles spéciales en lui affectant des moyens humains et matériels. C’est ainsi que l’invention de la cotisation sociale s’accompagne de la constitution progressive d’un recouvrement social caractérisé par une logique d’économie de moyens et par l’affectation des sommes prélevées au financement de risques sociaux dont la prise en charge est organisée par l’État.
Aux cotisations sociales créatrices de droits à prestations prévues par les assurances sociales puis par la Sécurité sociale, les autorités publiques ont progressivement adjoint différentes contributions de nature fiscale en fonction des besoins de financement. Mise à mal par la situation économique du pays et l’évolution du rapport d’emploi, la cotisation sociale semble aujourd’hui en péril. Elle apparaît ainsi prise en tenaille entre, d’une part, une politique d’exonération qui tend à rogner toujours un peu plus son périmètre et, d’autre part, la concurrence accrue des contributions sociales à la nature fiscale (la fameuse « fiscalisation » des ressources de la Sécurité sociale) au premier rang desquelles figure la Contribution sociale généralisée. Pourtant, c’est bien en référence à son assiette assise sur les revenus du travail et selon un même mode de calcul que l’essentiel des autres contributions ont été constituées. Ainsi, cotisations et contributions sociales assises sur la rémunération sont appréhendées comme un tout dans le rapport employeur-URSSAF pour former la créance sociale. Celles-ci répondent en effet au même régime juridique que révèlent un fait générateur commun et une exigibilité identique. La distinction cotisation sociale – contribution sociale, fondée imparfaitement sur leur caractère générateur de droits à prestations ou non, relève en réalité davantage de considérations relatives au partage de compétence entre pouvoir réglementaire et pouvoir législatif. La véritable distinction doit donc être opérée quant à l’assiette entre contributions assises sur la rémunération du travail et contributions diverses au produit affecté par voie budgétaire. Ce faisant, le reflux de la cotisation sociale comme technique apparaît relatif. Il est même possible de noter un certain renouveau de la cotisation sociale dans la sphère de la protection sociale complémentaire sous l’impulsion des partenaires sociaux à mesure du désengagement de l’État. Le recul de la cotisation sociale apparaît dès lors être davantage d’ordre symbolique, ce qui n’est toutefois pas sans incidence. Ce mouvement de recul participe d’une certaine dépolitisation du recouvrement social et de la Sécurité sociale en affaiblissant la vocation gestionnaire qui lui est attachée. Malgré les évolutions du rapport d’emploi et l’action plus ou moins habile des autorités publiques, la cotisation apparaît, en définitive, promise à un bel avenir.
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Martin Abry-Durand
Décembre 2022