Procédé linguistique posant une équivalence entre un ou plusieurs termes (le definiendum) et un énoncé (le definiens).
Si la définition de la définition ici rappelée présente les atours de l’évidence, elle n’en demeure pas moins parcellaire. Elle n’explique pas complètement comment repérer une définition dans le discours du droit. Aussi faut-il commencer par ouvrir quelques pistes d’identification de la définition.
Repérages
Pour ce qui est définitions légales, la première manière – la plus simple – d’identifier une définition est de se fier à l’intention explicite de son auteur. Le Code du travail offre ainsi quelques chapitres intitulés « Définition ». On trouvera ainsi sous le tympan d’un tel intitulé, les définitions du portage salarial (C. trav., art. L. 1254-1), du salarié à temps partiel (C. trav., art. L. 3123-1), du travail illégal (C. trav., art. L. 8211-1, définition par énumération des infractions qui en relèvent), de la machine (C. trav., art., R. 4311-4-1), et les multiples définitions des règles techniques relatives à la sécurité (C. trav., art. R. 4312-1, annexe). Ce procédé de signalement de la définition demeure assez rare. Il est tentant de se tourner vers une seconde méthode d’identification : repérer les dispositions qui emploient explicitement des verbes posant l’équivalence entre un terme et un énoncé : « constituer », « consister en », « s’analyser comme » … . On glane alors dans le Code du travail quelques définitions supplémentaires : consultation du comité d’entreprise européen (C. trav., art. L. 2341-6), rôle préventif du médecin du travail (C. trav., art. L. 4622-3), activité de placement (C. trav., art. L.5321-1), activité d’agent artistique (C. trav., art. L. 7121-10). On relève également la disposition relative au licenciement pour motif économique (C. trav., art. L. 1233-3) dont il a été très justement remarqué qu’elle mêle définition et justification (PELISSIER, 1992). Le repérage ne peut donc trouver une assise ferme et définitive dans la forme grammaticale de l’expression. Effectivement, cette méthode littérale ne permet pas d’identifier la définition implicite du harcèlement sexuel de l’article L. 1153-1 du Code du travail ou encore celle de la discrimination que l’on peut reconstruire sans peine à partir de l’article L. 1132-1 du même code. A dire vrai, l’identification d’une définition résulte d’un travail d’interprétation, et on ne saurait s’en tenir à la forme typographique ou grammaticale. Il faut se résoudre à affirmer qu’est une définition, le procédé par lequel au sein d’une même disposition, il est possible par un simple jeu d’agencement de retrouver un definiendum et le definiens qui vise à en retracer le sens. Tel est semble-t-il l’usage le plus fréquent dans la communauté des juristes du terme définition.
Cette caractérisation large – et un brin décevante – permet néanmoins de dégager trois éléments : l’unité d’auteur, l’unité de texte et la prétention à fixer le sens de la notion dans un contexte déterminé (un auteur, un support, une signification). Elle écarte également des utilisations non contrôlées du terme définition, lorsqu’il est appliqué à des qualifications de classes entières d’objet (ex : les faits de harcèlement moral constituent nécessairement une faute grave), à des énumérations non exhaustives (fréquentes par l’emploi du terme « notamment » dans les énoncés législatifs), à des assimilations ou à de simples précisions d’un aspect du sens d’une notion. Cette caractérisation large invite également à ne pas se pencher avec trop d’attention sur la forme de la définition. Notamment la forme canonique de la définition, par genre prochain et différence spécifique, n’est ni fréquente, ni indispensable (WOLMARK, 2007)
Les définitions prétoriennes posent des problèmes similaires. Pour identifier les définitions, il convient certes de s’appuyer sur des éléments typographiques (attendu isolé dans le texte de l’arrêt) et sur la forme grammaticale de l’énoncé (v. par exemple, Soc. 1er avril 2003, Bull. civ., V, n°129 : définition de la pause). Il ne faut cependant pas s’arrêter à ces indices. En effet, la Cour de cassation peut se contenter de définir un terme aux fins de guider et de discipliner l’opération de qualification que doivent effectuer les juges du fond. La définition pourra alors être sommaire. Ainsi en est-il de la faute lourde qui selon la Cour de cassation « nécessite l’intention de nuire à l’employeur ou à l’entreprise » (Soc. 12 mars 1991, Bull. civ. V, n°129). Ajoutons que le caractère parfois sommaire des définitions prétoriennes renforce l’idée que la forme de la définition ne constitue pas un élément crucial pour les définitions en droit.
Fonctions
Si l’on s’attache à la fonction de la définition – déjà en filigrane dans le repérage proposé – la définition constitue un procédé par lequel, dans un contexte particulier, l’auteur de la définition cherche à (r)établir la limpidité postulée de la communication en encapsulant le sens d’un terme ou d’un syntagme. La définition se définit ainsi par son usage : déposer ou imposer le sens d’un terme dans une formule (Rappr. CHAMPEIL-DESPLATS, 2022, n°487 s.)
Déposer le sens dans la définition
Déposer le sens d’une notion dans une définition relève prima facie de l’office de la doctrine – discours des juristes – dont l’une des tâches consiste à transcrire le sens des notions qui apparaissent dans le discours du droit. On parle alors souvent de définition lexicale. Apparentée à la définition du dictionnaire, elle vise à rendre compte du sens d’un terme.
Toutefois, limiter cet usage de la définition à la doctrine constituerait une erreur de perspective. En effet, il n’est pas rare que la jurisprudence livre des définitions « de consolidation » qui se présentent comme la synthèse, le dépôt des solutions antérieures livrées par la Cour de cassation. Tel est le cas par exemple de la définition de l’UES donnée dans un arrêt du 18 juillet 2000 (Soc. 18 juillet 2000, Bull. civ., V, n°299). Les critères qui sont consignés dans cette définition (concentration des pouvoirs de direction, similarité des activités, communauté de travail pouvant se traduire par une permutabilité des salariés) ne constituent que le rappel des critères et indices progressivement dégagées depuis la fin des années 1970. Ces définitions de continuité ratifient ainsi les solutions et règles antérieures et leur donnent un caractère de stabilité. L’histoire qui a présidé à l’adoption de la définition constitue le gage de son acceptation et de sa solidité. Remarquons que lors de la recodification à droit constant du Code du travail, le législateur n’a pas spécialement emprunté cette voie : les définitions ne se sont pas multipliées. Le droit constant n’intègre pas la jurisprudence. De manière générale, à la différence du législateur de l’Union européenne, dans les directives de consolidation, le législateur français en droit du travail n’use guère du procédé que constitue la définition de consolidation.
Imposer le sens par une définition
Les autorités normatives (législateur lato sensu, et jurisprudence) se servent bien évidemment de la définition pour imposer le sens d’un mot. C’est là, la fonction évidente de la définition dans le discours du droit.
Cette fonction de la définition n’est cependant pas absente du travail doctrinal. Elle est alors appelée définition stipulative. Il s’agit pour l’auteur de poser le sens d’une notion dans le cadre d’une démonstration : la définition constitue une hypothèse, une technique opératoire pour résoudre un problème (TROPER, 1989). Se débarrassant de la question de l’essence, sans chercher à retracer les variations historiques de la signification, la définition stipulative permet au savant de constituer son objet en fonction de ce qu’il cherche à démontrer (CHAMPEIL-DESPLATS, 2022, n°499).
Lorsque la définition est posée par le législateur ou la jurisprudence, la réussite de la prétention à imposer le sens dépend au premier chef de la reconnaissance de la capacité de son auteur à poser des définitions obligatoires. Cette capacité est reconnue au législateur, dans un système interprété comme positiviste. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Lors de la discussion du Code civil, le projet de Titre préliminaire a été abandonné, car, posant de multiples définitions, il empiétait sur le domaine de la science du droit. La Cour de cassation qui aujourd’hui livre de nombreuses définitions de termes et syntagmes juridiques n’a que progressivement conquis cette prérogative (ou plus précisément, elle n’a été que tardivement reconnue comme exerçant ce pouvoir de définir). Des notions centrales du droit du travail, au premier rang desquelles la subordination, sont ainsi définies par la jurisprudence. La définition constitue ainsi un observatoire des rapports de pouvoir au sein des sources du droit (WOLMARK, 2007). La définition dans le discours du droit est donc fondamentalement un acte de volonté dont les conditions de réussite dépendent de l’autorité de l’auteur, des dispositifs mis en place pour rendre visible l’énoncé définitoire, et du contexte juridico-social de réception.
Acte de volonté, la définition dans le discours du droit ne peut être considérée comme un acte de connaissance (quand bien même une définition trop éloignée du sens commun, juridique ou non, serait sûrement irrecevable, FORMEY, 1753). C’est du reste sur ce point que la summa divisio en droit privé entre définition réelle et définition terminologique prête le flanc à la critique. Promue par le Doyen Cornu, cette distinction se calque sur l’opposition scolastique entre l’essence et l’accident ou encore entre la définition réelle et la définition nominale, (BALIAN, 1986 ; BERGEL, 1987 ; CORNU, 1981). Les définitions réelles détermineraient les notions de base du droit. « Définition conceptuelle », selon la terminologie du Doyen Cornu, elle a pour modèle la définition de la propriété accueillie à l’article 544 du Code civil. A l’inverse, la définition terminologique, donnée dans un texte législatif ou réglementaire particulier, n’a aucune vocation à la généralité et se borne à expliciter le terme ‘‘au sens de’’ la disposition ou du texte en cause. Les définitions logées dans les articles inauguraux des directives européennes en sont emblématiques. Cette théorie de la définition laisse entendre que le législateur transcrit le sens vrai de certaines notions dans la définition réelle. Elle se fonde ainsi sur des présupposés fragiles. La distinction repose en effet sur un essentialisme suranné au regard du tournant pragmatique en linguistique de la première moitié du XXème siècle (NICKEES, 1998). Elle postule de surcroît la supériorité du droit commun des obligations, dépositaire du sens éminent de catégories cardinales ; les définitions qui sont données condenseraient les efforts du législateur et de la tradition juridique. Si certains concepts sont bien communs à différentes branches du droit, leur définition ou plus largement leur sens n’en est pas moins sensible à l’environnement normatif ainsi qu’aux faits auxquels ils vont s’appliquer. Le droit du travail confirme cette conclusion. Des notions centrales du droit des obligations, – la faute lourde, la force majeure – reçoivent une définition propre à cette branche du droit. Au dossier du relativisme des définitions, il faut également verser les multiples caractérisations de l’établissement en droit du travail. Il n’y a donc pas une mais plusieurs définitions de ces notions cardinales. Toutes les définitions sont alors terminologiques en droit positif, car le sens d’un terme est inséparable du contexte de son énonciation et de son application.
La définition, une proposition de sens
Même ainsi circonscrite, la prétention à la fixation du sens d’un terme par la définition est toutefois démentie par le fonctionnement du droit. Un court détour par la linguistique s’impose ici encore. Au cœur de cette discipline (ECO, 1988), se trouve une relation triangulaire entre le signifiant (la forme graphique ou sonore de l’unité linguistique), le signifié (approximativement son sens, la représentation mentale du concept associé au mot) et les référents (les objets réels, conceptuels ou imaginaires auxquels le mot renvoie). Dans le cadre d’une sémantique référentielle (et donc non-saussurienne), l’imposition d’une définition cherche à décrire à partir du signifiant le signifié et ce faisant à englober les référents qui peuvent être désignés par le mot. Un lien peu interrogé est ainsi noué entre référents et signifié (v. toutefois, les analyses lumineuses de KLEIBER, 1997).
Le fonctionnement de l’interprétation en droit conduit à rompre le lien nécessaire entre le signifié, que la définition tente de retranscrire, et les référents. En effet, les interprètes authentiques ont toujours la possibilité d’attribuer le signifiant à une situation qui ne correspond pas au sens que la définition suggérait. Les exemples sont légion : qualification inattendue, présomption générale de qualification ou à l’inverse règle d’exclusion d’une catégorie de faits du champ de la notion définie, contournement de la définition dans une situation particulière (notamment d’extranéité). L’opération judiciaire de qualification et son résultat peuvent à tout moment démentir le sens attendu. La définition en droit, plus encore que dans d’autres disciplines, est fragile. Le Digeste le rappelait il y a 15 siècles : Toute définition est périlleuse ; en effet, il en est peu qu’on ne puisse renverser (Omnis definitio in iure civili periculosa est : parum est enim ut non subverti possit, Dig., 50, 17, 202).
Toujours susceptible d’être contredite ou amendée, la définition en droit ne constitue en définitive qu’une proposition de sens, une orientation, un point d’appui pour la discussion. Elle tente de circonscrire le débat sur le sens d’un mot, sans jamais pouvoir l’épuiser. La définition ne constitue qu’un moment partiel de stabilisation sémantique, à partir duquel la discussion va se construire, se déployer. Dans ce processus de détermination du sens des notions, l’auteur de la définition encadre l’argumentation, raréfie les ressources rhétoriques à la disposition des plaideurs et des interprètes. Finalement la définition rend plus difficile, sans toutefois l’interdire, le travail de celui qui cherchera à s’écarter de la signification de la notion qu’elle pose. Comme le rappelle Philippe Coppens (COPPENS, 1998), il faut toujours plus de justification pour s’écarter de la règle que pour la suivre.
BALIAN S., Essai sur la définition dans la loi, Thèse Paris II, dir. G. Cornu, 1986
BERGEL, « Importance, opportunité et rôle des définitions dans les textes législatifs et réglementaires », Revue de la Recherche Juridique 1987-4, p. 1119
BOURDIEU, Ce que parler veut dire, Fayard, 1982
CAYLA, La notion de signification en droit, Thèse Paris II, dir. S. Rias, 1992
CHAMPEIL-DESPLATS, Méthodologie du droit et des sciences du droit, Dalloz, coll. Méthodes du droit, 2022
COPPENS Ph., Normes et fonctions de juger, Bruylant-LGDJ, coll. La pensée juridique, 1998
CORNU G., « Les définitions dans la loi », Mél. J. Vincent, Dalloz, 1981, p. 87
ECO U., Le signe, Livre de poche, 1988
FORMEY, V° Définition, Encyclopédie Diderot et D’Alembert, tome 4, 1753
FROSSARD S., Les qualifications juridiques en droit du travail, LGDJ, coll. Bibl. de droit social, 2000
HUSSON L., Études sur la pensée juridique, Dalloz, 1974
NICKEES, La sémantique, Belin, coll. Sujets, 1998
PELISSIER J., « La cause économique du licenciement », RJS 8/9 1992, p.529
SEARLE J. R., Les actes de langage – essai de philosophie linguistique, Hermann, 1972
TROPER M., « Pour une définition stipulative du droit », Droits 1989, n° 10, p. 101
OST F., VAN DE KERKOCHE F, Jalons pour une théorie critique du droit, Publ. Des Fac. Univ. de Bruxelles, 1987
WOLMARK C., La définition prétorienne, Dalloz, coll. Nouvelle bibliothèque des thèses, 2007
Cyril Wolmark
Décembre 2022