En France, la participation des travailleurs est proclamée comme un « principe particulièrement nécessaire à notre temps », par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises » (alinéa 8). Sans doute en raison de sa formulation, œuvre de compromis, il aura fallu du temps pour que cet énoncé constitutionnel développe une efficacité juridique (BERNAUD, 2003).
Cette efficacité est désormais celle d’une norme dotée d’une autorité supérieure, appliquée comme telle par le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et le Conseil d’Etat. En cette qualité, le principe de participation des travailleurs produit des effets, notamment en droit du travail, dont il est devenu une norme d’interprétation et/ou de contrôle de dispositions législatives, règlementaires, conventionnelles ou bien encore de comportements patronaux (LYON-CAEN, 2007). Ses effets sur la législation se sont accentués depuis l’activation de la procédure QPC. Des dispositions contestées, il motive tantôt la préservation, parfois doublée d’une légitimation, tantôt la censure. Le juge judiciaire et le juge administratif l’applique chacun dans le cadre du contentieux du droit du travail qui relève de sa compétence, en dehors du cadre de la QPC. Parfois, la décision est rendue au seul visa de ce principe constitutionnel.
Teneur du principe
Le déploiement de cette efficacité juridique contraste avec la relative indétermination du principe de participation des travailleurs, en termes de droit(s) (ODOUL-ASOREY, 2014). Le Conseil constitutionnel formule un droit des travailleurs « à la » ou « de » participation, dont le législateur doit fixer les conditions et garanties de mise en œuvre. La forme d’un « droit à » souligne la nécessaire action législative pour en permettre et/ou en garantir l’exercice, en particulier dans l’entreprise. Si le législateur doit pleinement exercer cette compétence (article 34 de la Constitution), un large pouvoir d’appréciation et de décision lui est ménagé par le Conseil constitutionnel, qu’il s’agisse des bénéficiaires, du champ ou des modalités de la participation.
De ce droit constitutionnel des travailleurs, « qui ne confère aucun droit équivalent aux employeurs » (CC, déc. n° 2015-519 QPC du 3 février 2016), ne bénéficient pas seulement les salariés. Le législateur doit également en organiser l’exercice pour les fonctionnaires et les agents publics (CC, déc. n° 2010-91 QPC du 28 janvier 2011), notamment par la négociation collective, dans le respect des dispositions du huitième alinéa du Préambule de 1946 (CC, déc. n° 2021-956 QPC du 10 décembre 2021, V. aussi, not. CE, 7ème chambre, 11 février 2022, n° 451784). Dans l’entreprise, ce droit a pour bénéficiaire la collectivité de tous les travailleurs intégrés de manière étroite et permanente à la communauté de travail qu’elle constitue, même s’ils n’en sont pas les salariés. Ne peuvent toutefois pas s’en réclamer certains travailleurs régis par des dispositions du code du travail, dont les travailleurs de plateformes, faute de pouvoir, en application des textes de loi, constituer avec elles une communauté de travail (not. CC, déc. n° 2019-794 DC du 20 décembre 2019).
Du droit des travailleurs à la participation découle un droit à une représentation collective dans l’entreprise, dont il appartient au législateur de fixer les modalités, sans être tenu de l’organiser dans toutes les entreprises occupant des salariés. Etant par ailleurs précisé que le huitième alinéa du Préambule de 1946 n’impose pas la présence de représentants des salariés au sein des organes de direction de l’entreprise (à propos de salariés administrateurs, CC, déc. n° 2013-333 QPC du 26 juillet 2013). Cette représentation collective des travailleurs ne doit pas être exclusivement syndicale mais l’accès à la négociation collective des organisations syndicales représentatives de salariés est une exigence constitutionnelle (not. CC, déc. n° 201-61 DC du 21 mars 2018). Le droit à la participation soutient également des garanties légales permettant aux travailleurs de choisir leurs représentants, dont celle du droit de vote. Récemment, le Conseil constitutionnel a justifié par une atteinte disproportionnée au principe de participation des travailleurs la censure du texte de l’article 2314-18 du code du travail, dont l’interprétation par la Cour de cassation privait des salariés de la qualité d’électeur, aux élections du comité social et économique, « au seul motif de leur assimilation à l’employeur » (CC, déc. n° 2021-947 QPC du 19 novembre 2021). D’autres garanties électorales prévues par la loi assurent, selon la Cour de cassation, « l’effectivité » du principe de participation des travailleurs. Ainsi en est-il de l’exigence d’un seuil raisonnable d’audience électorale pour l’acquisition de la représentativité syndicale (Ass. Plén., 18 juin 2010, n° 1040.005) ou de « la division des travailleurs d’une entreprise en collèges électoraux ayant pour finalité une représentation spécifique de catégories particulières de personnels » (Soc., 16 octobre 2013, n° 13-11.324).
Enfin, le respect du huitième alinéa du Préambule de 1946 impose que les représentants des travailleurs bénéficient des moyens nécessaires pour que soit assurée la participation du personnel à la détermination collective des conditions de travail et à la gestion de l’entreprise (not. CC, déc. n° 2018-761 DC du 21 mars 2018). Il exige en cela plusieurs garanties légales, dont celles d’une information suffisante, d’heures de délégation ou d’un statut protecteur permettant d’assurer leur indépendance à l’égard de l’employeur, le cas échéant (not. CC, déc. n° 96-383 DC du 6 novembre 1996 ; Soc., 4 février 2016, n° 15-21.536). Il justifie la censure de dispositions législatives visant à garantir, parmi les membres élus au CSE, une représentation équilibrée des femmes et des hommes, au motif que leur application pourrait aboutir « à ce que le fonctionnement normal du comité social et économique soit affecté dans des conditions remettant en cause le principe de participation des travailleurs » (CC, déc. n° 2018-761 DC du 21 mars 2018 V. aussi, not. déc. n° 2018-720 QPC du 13 juillet 2018).
De son côté, la Cour de cassation veille au respect des garanties légales de la participation des travailleurs, par l’employeur ou les interlocuteurs sociaux, notamment en matière de représentation du personnel. Au visa de l’alinéa 8 du préambule de 1946, aux côtés de textes de loi, la chambre sociale maintient la reconnaissance d’un préjudice nécessairement causé aux salariés, « ainsi privés d’une possibilité de représentation de leurs droits et leurs intérêts », par la faute de l’employeur n’ayant pas accompli les diligences qui lui incombent, pour l’organisation des élections permettant la mise en place des institutions représentatives du personnel, sans qu’un procès-verbal de carence ait été établi not. Soc., 15 mai 2019, n° 1-22.224 ; à propos d’une procédure de licenciement pour motif économique, not. Soc., 17 octobre 2018, 17-14.392 ; Soc., 9 juin 2021, n° 20-11.98). De même, serait-ce par un protocole électoral signé par l’employeur et des organisations syndicales, « la constitution d’un collège électoral ne peut priver une catégorie de salariés de toute représentation en violation des droits électoraux qui leurs sont reconnus pour assurer l’effectivité du principe de participation prévu par l’alinéa 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 » (Soc., 16 octobre 2013, n° 13-11.324).
Modalités de la participation
Quant aux modalités de la participation elle-même, dont la représentation des travailleurs est plutôt un moyen, le législateur dispose d’une marge d’appréciation importante.
La négociation collective est une modalité constitutionnellement garantie aux salariés, sans devoir être exclusive, ni même prioritaire. Leur participation à la détermination collective des conditions de travail requiert, selon le Conseil constitutionnel, « une concertation appropriée entre employeurs et salariés ou leurs organisations représentatives » (not. CC, déc. n° 96-383 DC du 6 novembre 1996). Sous ce versant, le droit de participation fonde ou exige des garanties relatives aux conditions de négociation et/ou de conclusion des accords collectifs de travail, du côté des salariés. Il implique une législation promotionnelle de la négociation collective, notamment dans l’entreprise. Il soutient l’accord collectif parmi les sources du droit du travail. En ce sens, la Cour de cassation a placé sous l’égide de ce principe constitutionnel, la reconnaissance d’une présomption de conformité au principe d’égalité de traitement, de différences entre salariés « dans la mesure où elles sont opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote » (not. Soc., 4 octobre 2017, nos 16-17.517 et 16-17.518).
Pour autant, le législateur peut organiser d’autres modalités de la participation des travailleurs, allant de droits d’information-consultation jusqu’à des formules de co-décision ou de co-gestion, dont celle du paritarisme (not. CC, déc. n° 2015-502 QPC du 27 novembre 2015). Cette approche vaut également à propos de la participation des travailleurs à la gestion de l’entreprise. Le Conseil constitutionnel rattache plusieurs dispositifs organisés par le législateur, si ce n’est celui de la représentation des salariés dans les organes de direction. Un droit de participation des travailleurs est également formulé par le droit européen, en lien avec des droits d’information-consultation, dont les textes afférents sont parfois visés par la Cour de cassation, aux côtés de l’alinéa 8 du Préambule de 1946 (not. Soc. 17 octobre 2018, n° 17-14.392).
En dépit de multiples applications, aux effets parfois sensibles, le droit des travailleurs à la participation ne se laisse pas facilement appréhender. Aucun des juges du droit du travail, largement entendus, n’en délivre une définition, ni ferme interprétation, en propre. D’un rapide tour d’horizon de leurs décisions, transparaît un droit des travailleurs d’être représentés et/ou de faire valoir leurs droits et intérêts, à propos des décisions ou règles qui les impliquent. Dans une large mesure, la concrétisation de la participation des travailleurs est laissée à la main du législateur.
L’exercice de ce droit constitutionnel reçoit depuis longtemps des traductions législatives plurielles et évolutives, notamment en droit du travail (PETIT, Dir., 2015 ; AUZERO, COUTU, Dir., 2018). A sa mise en œuvre ont été rattachées de récentes réformes législatives du droit du travail, du droit des sociétés ou bien encore du droit de la fonction publique. Certaines interrogent les frontières, sinon du droit du travail, de ses mécanismes, tel celui de l’accord collectif de travail. Ces évolutions interrogent un droit à la participation des travailleurs, dans une perspective élargie des relations professionnelles. A cette perspective invitent d’autres droits et libertés constitutionnels, tels ceux du droit de grève ou de la liberté syndicale. Sans pour autant exclure des différenciations d’exercice selon les statuts juridiques des travailleurs (article 34 de la Constitution). Il est même un autre droit constitutionnel à la participation, consacré depuis 2005 en matière environnementale, dont les rapports avec celui des travailleurs sont interrogés (DIRRINGER, 2015). Récemment, le législateur a renforcé l’intégration des enjeux environnementaux dans la gestion de l’entreprise et la participation des travailleurs (not. loi n° 2021-1104 du 22 août 2022, dite loi « Climat et Résilience » ; not. VANULS, CASADO, 2022).
Quoiqu’il en soit, la participation des travailleurs est un sujet ancien et débattu. Il est depuis longtemps interrogé en droit du travail. Il intéresse d’autres disciplines. Plusieurs approches en sont développées, dont certaines sous les feux de l’actualité. L’on songe, notamment, aux débats sur la gouvernance des entreprises et/ou la codétermination (HOLLANDTS, AUBERT, FAVEREAU, 2022 ; V. aussi JEAMMAUD, FAVEREAU, 2017, p.576).
En somme, il reste d’un droit des travailleurs à la participation à interroger, plutôt qu’à définir… « Définir, c’est limiter » (WILDE, Le portrait de Dorian Gray).
AUZERO G. et COUTU M. (Dir.), La participation des travailleurs dans la grande entreprise privée et publique, Revue de Droit Comparé du Travail et de la Sécurité sociale, 2018, n° 3
BERNAUD V., Les droits constitutionnels des travailleurs, PUAM Economica, 2003
DIRRINGER J., Les voies vers une démocratie sociale et environnementale ou l’illusion procédurale ?, Dr. soc. 2015, p. 326
HOLLANDTS X., AUBERT N., FAVEREAU, L’heure de la codétermination à la française est-elle venue ?, RDT 2022, p. 553
JEAMMAUD A. et FAVEREAU, « Qu’est devenue l’idée démocratique en droit du travail ? », RDT 2017, p. 576
LYON-CAEN A., « Droit constitutionnel de participation et délimitation des collectivités de travail », RDT 2007. 84
ODOUL-ASOREY I., Principe de participation des travailleurs et droit du travail, Dr. soc. 2014, p. 356
PETIT. F, Dir., Le droit à la participation, principe oublié ou renaissant ?, Dossier, Dr. Soc. 2015, p. 952
VANULS C., CASADO A., Controverse : Quel droit du travail pour la transition écologique ?, RDT 2022, p. 9
Isabel Odoul-Asorey
Décembre 2022