C’est mon anniversaire. J’ai 75 ans. Faut-il dire vieil adulte ou jeune vieillard ? » Cette interrogation de Michel Tournier met ironiquement en lumière la difficulté à cerner la vieillesse. Sa réponse : « je m’en fous » (Journal Libération, Rebond, 24-25 décembre 1999) pourrait même faire douter de la pertinence d’une définition. Le dictionnaire Larousse l’envisage comme « la dernière période de la vie normale, caractérisée par un ralentissement des fonctions« . Le fait d’être « vieux » se caractériserait par une diminution des forces physiques et un fléchissement des facultés mentales. Alors que le vieillissement met l’accent sur le processus physiologique et psychique à l’œuvre dès le commencement de la vie, la vieillesse correspond à une période au cours de laquelle on est vieux. La vieillesse, s’opposerait ainsi à la jeunesse, porteuse comme elle d’une dimension existentielle. Non sans lien avec l’étymologie du mot, « vieux », du latin « senex« , qui renvoie à « sénile » mais également à « seigneur » et à « senior« , la vieillesse est porteuse d’ambivalence : à la fois espérée et redoutée. Mais à quel moment devient-on vieux ? La réponse varie. Peut-on comparer le septuagénaire baby-boomer hyperactif du XXI siècle, avec les contemporains de Montaigne, qui se sentait quant à lui engagé dans « les avenues de la vieillesse« , dès l’âge de 40 ans ?
La vieillesse, loin d’être irréductible à l’expérience de chacun, suppose également des interactions humaines qui intéressent le droit et que ce dernier façonne en retour. Que nous dit le droit de la vieillesse ? Comment le droit social se saisit-il d’un fait aussi évolutif que la vieillesse ? A quelles fins ? La crainte est grande de décevoir le lecteur car pas plus qu’il ne définit la vie, le droit ne se risque à définir la vieillesse qui au demeurant est une notion transversale susceptible d’être appréhendée par de nombreuses disciplines. La vieillesse n’est pas un concept juridique mais appartient à ces notions floues à contenu variable, dont le sens fait consensus tout en laissant place à l’incertitude. Ce n’est d’ailleurs pas tant la vieillesse qui intéresse le droit que le fait qu’elle s’incarne dans la personne.
Le Code civil n’en fait aucune mention, ou alors de manière implicite, à partir de la notion d’ascendant. Au mieux la vieillesse flirte avec la vulnérabilité des personnes majeures, qui est une notion connue du droit privé. Mais les deux ne se confondent pas, la vulnérabilité apparaissant plutôt comme une conséquence de la vieillesse.
La vieillesse à laquelle est associée la retraite est une terre promise du droit social dont les premiers balbutiements ont été orientés vers l’assistance aux vieillards, aux infirmes et aux incurables avec la loi du 14 juillet 1905. C’est du moins une des premières manifestations de la prise en compte des personnes non productives par le droit social. Par la suite, la retraite est apparue comme une conquête des travailleurs. Car c’est lorsque sont en jeu les conditions sociales économiques de l’existence d’une personne que le droit mobilise des ressources. En ce sens est privilégiée une approche fonctionnelle de la vieillesse. D’ailleurs, le Vocabulaire juridique de Cornu, envisage la vieillesse comme l’état d’une personne, qui ayant dépassé un certain âge, est présumée ne plus pouvoir travailler et peut bénéficier d’une pension retraite ou d’un minimum vieillesse.
Pour tracer une frontière entre le vieux et le jeune, le droit se réfère à l’âge. Il est un critère relatif, mais structurant : la vieillesse est rythmée par l’âge.
Cette classification opérée par l’âge permet de définir des politiques sociales en direction des plus âgés afin de leur assurer une protection juridique et une sécurité économique. Elle contribue à une segmentation des groupes sociaux auxquels sont associés des statuts. S’en suit un remodelage de la vieillesse par des catégories juridiques toujours plus nombreuses : la vieillesse au temps de la pluralité.
L’âge, un faux concept
Que pourrait être une société sans âge ? Une société dans laquelle la règle de droit serait empreinte d’universalité ? Loin de cet imaginaire, la vieillesse est déterminée en fonction de l’âge. Repère omniprésent en droit, l’âge, en référence à la date de naissance, présente l’attrait de l’objectivité. A l’image de l’enfance qui prend fin à l’âge de la majorité, la vieillesse est définie par l’âge, avec cette différence qu’elle prendra assurément fin avec la mort. L’âge fait présumer de la vieillesse. Mais à quel âge ? Si l’âge de la majorité est certain, celui de la vieillesse est plus obscur, ce qui fait douter d’une définition de la vieillesse fondée sur l’âge.
Il est vrai que la règle de droit peut établir une référence implicite à l’âge se déduisant des liens de parenté, comme le fait l’article 205 du Code civil à propos des débiteurs de l’obligation alimentaire : « les enfants doivent des aliments à leurs père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin ». La référence à la notion d’ascendant est également récurrente en droit social afin de déterminer les ayants-droit d’une prestation sociale, comme par exemple, la rente viagère versée en cas de décès consécutif à un accident de travail prévue à L. 434-13 du Code de la sécurité sociale. On peut ainsi se passer de la fixation d’un âge. En droit social, les nombreuses références à l’âge révèlent en réalité un flou, faisant de la vieillesse une période à géométrie variable. En droit de la protection sociale, une même prestation peut être servie à des âges différents en fonction de la situation de son bénéficiaire. Par exemple, le Code de l’action sociale et des familles fixe à 65 ans l’âge minimum requis pour obtenir le bénéfice d’une aide à domicile mais l’accorde dès 60 ans en cas d’inaptitude au travail.
Sur ce point, on ne peut manquer de s’attarder sur l’emblématique âge de départ à la retraite. Cet âge est en quelque sorte l’arbre cachant la forêt. Ce n’est pas tant l’âge de la retraite, objet de nombreuses aspirations et tensions sociales, qui détermine le moment du départ à la retraite, mais bien la durée d’assurance ayant donné lieu à des versements de cotisations. Ainsi, l’âge de la liquidation de la pension se conçoit plutôt en référence à une période productive passée. Cela est significatif pour les salariés justifiant de carrières longues qui peuvent bénéficier d’une retraite anticipée à partir de l’âge de 56 ans (CSS, art. D. 351-1-1). Pour les autres travailleurs, l’âge de la liquidation de la pension oscille entre l’âge légal de départ à la retraite, actuellement fixé à 62 ans, et l’âge de 67 ans qui ouvre automatiquement droit au taux plein pour le calcul du montant de la pension de sécurité sociale. Il n’en demeure pas moins que son montant dépendra in fine du nombre de trimestres cotisés (CSS, art. D161-2-1-9). Pour les régimes non-contributifs fondés sur la solidarité nationale, l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), qui a été substituée au minimum vieillesse, est versée aux personnes âgées d’au moins 65 ans dès lors qu’elles n’ont pas ou peu cotisé (CSS, art. R.815-1), cet âge étant ramené à 60 ans en cas d’invalidité ou de handicap. Quant aux régimes spéciaux de retraite, certains autorisent un départ à la retraite dès l’âge de 50 ans.
Cet inventaire à la Prévert reflète, par-delà le dédale des dispositifs, la variabilité de l’âge légal du départ en retraite. L’âge est plutôt un curseur permettant de justifier l’équilibre financier du système de retraite.
Ces multiples références à l’âge sont dans le même temps une source de catégorisation susceptible de produire des stéréotypes et des discriminations. Certes, les clauses guillotines sont en principe interdites depuis la loi du 1er juillet 1987 et la rupture d’un contrat de travail fondée sur l’âge encoure la nullité en application du principe de non-discrimination posé à L. 1132-1 du Code du travail (Soc. 21 décembre 2006, n° 05-12816). Mais la portée du principe de non-discrimination en raison de l’âge est bien relative en raison des nombreuses dérogations qui sont admises. L’article L. 1133-2 du Code du travail qui transpose en droit interne, l’article 6, § 1er, de la directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, admet des différences de traitement fondées sur l’âge « lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires« . Or, tant la CJUE que les juridictions nationales admettent avec une certaine souplesse la légitimité des mesures fondées sur des politiques d’emploi en direction des plus jeunes par exemple (Soc. 31 mars 2015, n° 13-18667). Le travailleur âgé échappe ainsi au maillage du droit des discriminations. Cette singularité attachée à une interprétation souple du principe de non-discrimination fondée sur l’âge tant par la CJUE que par les juridictions nationales, révèle une donnée culturelle bien ancrée : la mise à l’index du vieux.
Des vieillesses plurielles
Au cours du XX siècle, les dispositifs se sont multipliés afin d’assurer une sécurité économique au travailleur devenu improductif. La vieillesse s’est alors incarnée dans la retraite. C’est ensuite une nouvelle catégorie de travailleurs, propulsés au rang de « seniors », dès la cinquantaine, qui voit le jour. Dans le même temps, une autre facette de la vieillesse apparaît : celle du grand âge en perte d’autonomie.
La vieillesse de la retraite
Longtemps, la personne âgée devait essentiellement compter sur son patrimoine ou sur la solidarité familiale, pour assurer ses moyens de subsistance. La mise en place d’une assurance vieillesse fondée sur un système par répartition par la loi du 14 mars 1941 complétée par la suite par les régimes complémentaires a ouvert la voie à une sécurité économique des personnes dont l’inaptitude au travail est présumée. Lorsque la personne ne justifie pas d’une activité professionnelle suffisante, elle peut bénéficier au titre de l’aide sociale de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), anciennement « minimum vieillesse », versée sous condition de ressources et d’âge.
Le droit définit de façon tautologique la vieillesse, en référence à une prestation ou une allocation. La pension fait le vieux. La retraite opère une redéfinition des âges de vie : à l’enfance et à la vie active succède une période d’inactivité. Il est vrai que ce schéma connaît des distorsions, comme en témoignent les situations de cessation anticipée d’activité.
La vieillesse « anticipée »
Paradoxalement, alors que l’âge légal de la liquidation de la retraite est régulièrement repoussé, la fin de l’activité professionnelle est plus précoce, ce qui est constitutif d’une période mal définie. En 2021, le taux d’emploi des 55-64 ans, c’est à dire la proportion d’actifs rapportée à la population de la tranche pour cette tranche d’âge, est de 56,1% et tombe à 35% pour les 60-64 ans (DARES, 2022). Les dispositifs inaugurés au milieu des années soixante-dix, avec des dénominations diverses (allocation spéciale du fonds national, garantie de ressources, contrats de solidarité, dispense de recherche d’emploi, préretraite progressive, pré-retraite d’entreprise, plans de départs volontaires, départ anticipé pour handicap ou carrières longues, compte pénibilité……), dont certains sont toujours bien ancrés, tracent les frontières d’une nouvelle catégorie de personnes, désormais bien identifiée, « trop vieille pour travailler, trop jeune pour partir en retraite ». Alors que la pauvreté des plus âgés semblait avoir été refoulée au cours de ces dernières décennies, cette catégorie constitue une nouvelle trappe à pauvreté dans laquelle les femmes sont d’ailleurs particulièrement représentées.
La vieillesse de la perte d’autonomie
Bien que le rapport Laroque, suivi de bien d’autres, ait, dès 1962 prôné une conception de la vieillesse centrée sur l’autonomie et l’inclusion des plus âgés dans la vie sociale, le droit n’a consacré que trente ans plus tard des dispositifs partiels de prise en charge des besoins spécifiques liés au grand âge. La prestation spécifique dépendance (PSD) crée en 1997 a ainsi donné naissance à une nouvelle catégorie juridique : la dépendance. Celle-ci continue d’imprégner la matière en dépit du changement sémantique apporté par la loi de 2001 qui la rebaptise « perte d’autonomie » en créant l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). Pour autant, les deux notions renvoient l’une et l’autre à une conception déficiente de la vieillesse, celle du déclin.
Initialement envisagée comme relevant de l’aide sociale afin de répondre à des besoins exprimés par des personnes âgées de plus de 60 ans n’étant plus en capacité d’accomplir seules les actes essentiels de la vie courante, la dépendance a récemment pris place en droit de la sécurité sociale avec les lois (organique et ordinaire) du 7 août 2020. Est créée une nouvelle branche « autonomie » à côté des quatre branches que comportait le régime général (CSS, art. L. 200-2). Cette évolution annoncée depuis 2007, justifiée par le vieillissement sans précédent de la population – le nombre des personnes âgées de plus de 85 ans devrait passer de 1,4 million aujourd’hui à 5 millions en 2060 – se concrétise par la création d’une 5e branche de sécurité sociale. Elle pourrait amorcer un changement conceptuel qui reste toutefois à confirmer. En effet, alors que l’allocation de perte d’autonomie s’adressait exclusivement à une population âgée d’au moins 60 ans, le transfert du risque de perte d’autonomie vers la sécurité sociale s’accompagne d’un effacement des frontières entre handicap et âge. De sorte que, à l’instar des choix effectués dans d’autres États européens, l’ajout de deux derniers alinéas à l’article L. 111-2-1 du CSS prévoit désormais expressément que la « prise en charge contre le risque de perte d’autonomie et la nécessité d’un soutien à l’autonomie sont assurés à chacun, indépendamment de son âge et de son état de santé ». Il est vrai que si le grand âge expose à de telles situations, la dépendance ou la perte d’autonomie ne se confondent pas avec la vieillesse. La nouvelle physionomie de la perte d’autonomie s’affranchit enfin de l’âge.
Mais, la création d’une 5e branche de sécurité sociale est ici ambivalente. La notion de branche renvoie surtout à un pilotage organisationnel et financier. Or pour l’heure, les contours de la prestation perte d’autonomie sont inconnus. De plus, on ne manquera pas d’observer la confusion entretenue entre la notion de branche et celle de risque. Alors qu’une prestation de sécurité sociale compense, à partir de l’indentification d’un risque, la perte d’un revenu professionnel et éventuellement une charge affectant son niveau de vie, contrairement à l’aide sociale qui tend à satisfaire un besoin exprimé par le bénéficiaire. Or le soutien à l’autonomie consacré par les lois du 7 août 2020 oscille entre risque et charge. Si l’hybridation des prestations n’est pas une nouveauté en droit de la sécurité sociale, cette notion de « risque-charge » interroge sur les sources de financement de la prestation au soutien de l’autonomie. Alors que le risque fait appel à une logique contributive assise sur les revenus professionnels, la notion de charge fait plutôt appel à des recettes fiscales. Cette évolution n’est pas sans lien avec « le caractère universel et solidaire de la prise en charge du soutien à l’autonomie, assurée par la sécurité sociale » désormais inscrit dans le Code de la sécurité sociale (art. L. 111-2-1, al. 10). Mais pour l’heure des incertitudes pèsent sur la nature du financement de cette nouvelle branche, ainsi que sur les contours de la prestation de perte d’autonomie, même si les recettes fiscales restent les plus probables. Ainsi, le droit social contribue à une approche renouvelée de la perte d’autonomie, plus universelle.
Pour conclure, l’approche de la vieillesse par le droit social ne manque pas d’équivoque. Envisagée le plus souvent comme un déclin, la vieillesse peine à s’émanciper de la référence à l’activité productive sur laquelle ont été construites les politiques de la vieillesse. Mais les temps changent et la vieillesse aussi. Abandonner la référence à l’âge, penser la longévité de la personne plutôt que sa vieillesse, voilà quelques pistes de réflexions pour l’avenir !
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Sophie Rozez
Décembre 2022