La loyauté est, en premier lieu, une vertu qui fait référence à une valeur universelle. Elle renvoie également, dans le sens commun, à un devoir, qui apparaît comme une pierre angulaire de notre édifice social. Ce devoir prend racine dans le sens moral d’un individu et le lie à un autre individu ou à un groupe. La loyauté oblige alors l’individu à une forme d’approbation qui rend le groupe cohérent et permet aux autres membres du groupe d’entretenir un lien de confiance. La loyauté est donc un élément essentiel à la cohésion sociale. La loyauté est indissociable de la morale et invite, à ce titre, à porter un jugement moral vis-à-vis du comportement des individus afin qu’ils agissent avec honneur et probité.
La loyauté possède un rôle essentiel au sein de l’entreprise et a naturellement été appréhendée par le droit du travail. Elle permet d’instaurer et de maintenir une certaine paix sociale dans cet environnement spécifique, au travers d’une règle juridique, alors même que « l’entreprise est une addition d’intérêts par nature contradictoires » (TEYSSIE, 2004). La loyauté est un standard particulièrement vaste qui permet d’étendre, de manière prétorienne, certains droits et obligations réciproques, avec un spectre de signification et diverses applications qui dépassent les textes qui en constituent ses fondements. L’obligation de loyauté possède une véritable utilité fonctionnelle au sein des relations de travail. Si elle se révèle fondamentale au sein des relations individuelles de travail, elle l’est tout autant dans le cadre des relations collectives de travail.
La contractualisation de la loyauté dans les relations individuelles de travail
Dans les relations individuelles de travail, la loyauté appelle à ce que l’employeur et le salarié adoptent un comportement non seulement coopératif mais également mutualiste. Dans une ère où la moralisation contractuelle est encore d’actualité, la loyauté devient une variable d’ajustement dans les rapports attendus de la part de chacune des parties au contrat.
Une précision s’impose quant aux distinctions entre mauvaise foi et déloyauté, qui sont ténues. La loyauté découle de la notion de bonne foi, instituée à l’article L. 1222-1 du code du travail. Il en résulte que la loyauté suppose d’être fidèle à ses engagements et le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. En d’autres termes, une partie « loyale » agit de bonne foi. L’appel à ces notions reste néanmoins distinct.
Dans le cas de la mauvaise foi, c’est véritablement le caractère mal intentionné de l’individu que l’on cherche à sanctionner, en lui-même. En cas d’exécution déloyale, le caractère intentionnel semble moins prégnant dans le prononcé de la sanction. En cas de manquement à l’obligation de loyauté par une des parties, il s’agit certes de sanctionner un comportement intentionnel, mais surtout il s’agit de sanctionner un comportement qui a causé du tort au cocontractant. La différence entre mauvaise foi et manquement à l’obligation de loyauté repose principalement sur leur mobilisation. La mauvaise foi est davantage utilisée en termes de qualification pour appuyer sur la malhonnêteté d’un comportement ou pour faire tomber une protection, telles que la liberté d’expression, la liberté de témoigner ou la prescription d’ordre public de l’article L. 1251- 3 du code du travail. Pour exemple, caractériser la mauvaise foi fait tomber une protection accordée au salarié, ce qui permet ensuite de justifier la sanction par un manquement à l’obligation de loyauté, davantage utilisé pour caractériser une faute.
L’obligation de loyauté implique de s’abstenir de commettre des agissements susceptibles de nuire à la bonne exécution du contrat de travail ou de porter préjudice au cocontractant.
Au-delà de cette obligation générale, la jurisprudence met à la charge du salarié plusieurs types d’obligations de loyauté : une obligation de discrétion, une obligation de fidélité, qui prend particulièrement les traits d’une une obligation de ne pas agir dans l’intérêt contraire de l’entreprise ou encore d’une obligation de non-concurrence. Par ailleurs, l’étendue de l’obligation de loyauté peut être modulée en fonction de la qualité de certains salariés ou de leurs responsabilités mais également en fonction de la nature de l’entreprise dans laquelle ils travaillent, à l’instar des entreprises de tendance.
L’obligation de loyauté est utile par son application extensive au regard de son absence de définition. Mais elle pêche par ce même biais. D’autres innovations juridiques, plus adaptées car plus spéciales, l’ont complémenté dans certaines situations. L’obligation de loyauté se voit alors couplée avec d’autres obligations pour qu’elle puisse entraîner une sanction. Telle sera le cas, par exemple, en matière de réticence dolosive ; l’obligation de loyauté est alors couplée à l’obligation d’information. Dans cette situation, lorsqu’un des cocontractants a connaissance d’un obstacle impactant l’exécution du contrat, le devoir de loyauté lui impose de révéler spontanément le renseignement détenu parce que préexiste une obligation précontractuelle d’information. Enfin l’obligation de loyauté possède la particularité de s’appliquer hors du cadre strictement professionnel, même lorsque le contrat de travail est suspendu.
Si l’obligation de loyauté du salarié est régulièrement mise en lumière, le contrat de travail étant synallagmatique, cette obligation s’impose également à l’employeur et ce, au regard des mêmes fondements juridiques. Cette bilatéralisation de la loyauté se manifeste alors particulièrement dans le cadre de l’obligation de reclassement du salarié, que ce soit pour un motif économique ou pour cause d’inaptitude.
La conventionnalisation de la loyauté dans les relations collectives de travail
La tendance actuelle vise à déléguer une part conséquente de l’édiction des normes aux partenaires sociaux. Le code du travail prévoit, depuis la loi du 8 août 2016, des dispositions d’ordre public, le champ de la négociation collective et des dispositions supplétives. L’édiction de normes, qui était majoritairement étatique et donc unilatérale, devient de plus en plus conventionnelle et négociée. La conventionnalisation du droit social est un phénomène incontournable.
La loyauté s’est imposée tardivement dans les relations collectives du travail, et notamment dans la négociation collective. Elle représente pourtant la garantie d’une édiction de l’acte efficiente. En premier lieu, un texte général oblige les partenaires sociaux à se comporter loyalement dans l’exécution de la convention collective (C. trav., art. L. 2262-4). La négociation elle-même ne bénéficie pas d’un texte général prévoyant explicitement une négociation loyale. La loyauté s’y applique pourtant au travers d’un certain nombre de prescriptions, allant de la communication de certaines pièces, à la volonté réelle de l’employeur de négocier jusqu’au calendrier des négociations à suivre. Plusieurs traductions textuelles spécifiques prévoient à ce titre une loyauté des négociations dans le cadre de certains accords (C. trav., art. L. 2242-6 qui a trait à la négociation annuelle obligatoire dans l’entreprise ; C. trav., art. L. 3122-21 s’agissant du travail de nuit ; C. trav., art. L. 2232-29 concernant la négociation entre l’employeur et les membres de la délégation du personnel du comité social et économique, mandatés ou non, ou les salariés de l’entreprise mandatés). Il est par ailleurs acquis jurisprudentiellement que les discussions doivent être menées sérieusement et loyalement.
Plus encore, la loyauté joue un rôle dans la sanction de l’accord conclu. Plus précisément, dans le cadre des accords de méthode, la méconnaissance de ses stipulations n’est pas de nature à entraîner la nullité de ces accords dès lors qu’est respecté le principe de loyauté entre les parties (C. trav., art. L. 2222-3-1 et L. 2222-3-2). Alors que dans le cadre des relations individuelles de travail, le recours au « manquement à l’obligation de loyauté », lorsqu’il constitue une faute, permet d’exclure la nullité du contrat de travail (par ex. en matière de renseignements inexacts de la part du salarié, Soc., 30 mars 1999, n°96-42.912), dans le cadre des relations collectives de travail, le non-respect de l’obligation de loyauté est sanctionné par la nullité de l’accord (Soc., 8 mars 2017, n°15-18.080). L’adjonction de l’obligation de loyauté dans la loi Travail du 8 août 2016 permet d’octroyer aux textes conventionnels davantage de légitimité et de cohérence.
La loyauté, norme à référence comportementale, possède une dimension juridique, qui est en véritable expansion en matière de droit du travail. Son émergence, contractuelle ou dans le cadre conventionnel, résulte d’évolutions juridiques générales qui impactent irrémédiablement les concepts liés aux contrats et aux accords collectifs de travail.
TEYSSIE B., « L’intérêt de l’entreprise, aspects de droit du travail », Recueil Dalloz, 2004, 24, pp.1680
Décembre 2022