L’incapacité peut recouvrir plusieurs acceptions selon le domaine juridique. En droit civil, elle désigne la situation juridique d’une personne dont la loi ne reconnaît pas l’aptitude à conclure des actes juridiques valables. Cette définition permet d’identifier une notion stable qui se trouve au cœur des dispositifs de protection des personnes incapables.
En matière sociale, la définition de l’incapacité apparaît moins évidente. Elle se caractérise de façon générale comme une impossibilité physique ou psychique d’accomplir certaines activités. Issue originellement du droit de la santé, l’incapacité est exprimée, dans le champ du social, sous forme d’un taux mesuré en pourcentage et permet de donner une appréciation générale d’un ensemble de lésions constatées lors d’une expertise médicale. L’objectif de la présente notice est de revenir sur les diverses conceptualisations de ce terme et de réfléchir à son évolution.
L’incapacité : un outil de mesure de la perte de capacité de travail
Historiquement, l’utilisation de l’incapacité, sous la forme de taux, apparaît lors de la création du régime des pensions militaires d’invalidité en 1831. Elle est reprise sous cette acception par le régime des accidents du travail en 1898. L’incapacité est une composante des outils d’évaluation qui traduit en pourcentage la perte de capacité de travail de la victime. Elle est présente dans de nombreux barèmes d’évaluation comme, par exemple, le barème indicatif des invalidités utilisé en droit des assurances. C’est l’élément qui fait le lien entre le résultat de l’expertise médicale et le quantum d’indemnisation.
C’est en matière d’accidents du travail et de maladie professionnelle que l’incapacité va commencer à se subdiviser, afin de classifier l’évaluation des limitations et de leur intensité. Elle se scinde notamment en deux formes : l’incapacité temporaire et l’incapacité permanente.
L’incapacité temporaire désigne la période pendant laquelle une personne victime d’un accident ou d’une maladie est dans l’incapacité d’occuper son emploi. A l’inverse, l’incapacité permanente représente la perte définitive de tout ou partie de la capacité de travail d’une victime à la suite d’une maladie professionnelle ou d’un accident de travail. On distingue également l’incapacité permanente partielle de travail de l’incapacité permanente totale de travail. L’incapacité permanente est partielle lorsque le taux d’incapacité de la victime est compris entre 1% et 99%. Pour un taux de 100% on parle d’incapacité permanente totale.
Il n’existe pas de définition à proprement parler de l’incapacité en matière d’accidents du travail et de maladie professionnelle. Cependant, l’article L. 432-2 du code de la Sécurité sociale apporte des précisions sur la manière d’évaluer l’incapacité dans ce régime. Elle y est déterminée d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques ou mentales de la victime ainsi que d’après ses aptitudes et sa qualification professionnelle. L’incapacité s’apprécie principalement en rapport avec l’activité professionnelle.
Cette acception de l’incapacité se rapproche de la définition de termes comme l’inaptitude ou l’invalidité. En effet, l’inaptitude est définie comme l’état dans lequel se trouve le salarié, victime d’un accident ou d’une maladie, d’origine professionnelle ou non, quand il n’est pas en mesure de reprendre l’emploi qu’il occupait avant la suspension de son contrat de travail provoquée par cet accident ou cette maladie. Elle est également similaire à la définition communément admise de l’invalidité. Cette dernière renvoie à une incapacité de travail – définitive ou « stabilisée » – d’origine non-professionnelle ou, plus exactement, non susceptible d’être prise en charge par la branche “accidents du travail – maladies professionnelles” de la Sécurité sociale, mais également non congénitale.
Cependant, à la différence de l’inaptitude et de l’invalidité, l’incapacité n’est pas la dénomination d’un régime de prise en charge mais un outil de mesure utile au processus d’indemnisation. C’est une technique fondamentale d’évaluation qui s’inscrit dans la structure des régimes de prise en charge de la réduction de la capacité de travail.
De l’incapacité aux incapacités : l’évaluation d’autres formes de limitations
L’évolution du concept d’incapacité va se produire avec la mise en place de nouveaux dispositifs d’indemnisation des limitations qui ne se limitent plus à la capacité de travail. C’est notamment le cas dans le domaine du handicap ou de la perte d’autonomie.
Le Code de l’action sociale et des familles propose une définition de l’incapacité à son annexe 4 qui présente le guide-barème pour l’évaluation des déficiences et incapacités des personnes handicapées. Elle désigne « toute réduction résultant d’une déficience, partielle ou totale, de la capacité d’accomplir une activité d’une façon ou dans les limites considérées comme normales pour un être humain ». Il ne s’agit plus de l’incapacité comme taux, désignant uniquement la perte de capacité de travail, mais plutôt des incapacités qui représentent les limitations fonctionnelles affectant l’autonomie de la victime.
Elles sont entendues comme les difficultés ou impossibilités de réaliser des actes élémentaires physiques (comme se tenir debout, se lever, monter un escalier) ou psychiques (comme mémoriser) ou les impossibilités de réaliser des actes plus complexes (s’habiller, se servir d’un téléphone, parler avec plusieurs personnes).
Les incapacités désignent désormais des limitations fonctionnelles qui sont une partie de l’évaluation du quantum d’indemnisation. Pour déterminer ces limitations fonctionnelles, le processus d’évaluation doit également tenir compte des déficiences de la victime. La déficience correspond à un problème dans la fonction organique ou la structure anatomique, tel un écart ou une perte importante. En complément, le processus d’évaluation prévoit également une appréciation du désavantage social qui résulte soit d’une déficience ou d’une incapacité qui limite ou interdit l’accomplissement d’un rôle normal (en rapport avec l’âge, le sexe, les facteurs sociaux et culturels). L’apparition de ces termes connexes contribuent à complexifier la définition du concept d’incapacité.
Cette distinction en plusieurs niveaux provient de l’International Classification of Impairments, Disabilities and Handicaps, mise en place par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1980. L’incapacité représente la forme objectivée de la maladie, de l’accident ou de la malformation qui ne se réduit plus uniquement aux limitations dans la capacité de travail.
Cette évolution associée à l’apparition d’un nouveau vocable contribue à complexifier la frontière entre l’incapacité, les incapacités et ses termes connexes. En parallèle, les barèmes dans le champ du handicap tendent à se détacher progressivement de la méthode d’évaluation qui consiste à dresser le bilan des incapacités d’une personne pour lui préférer une vision plus positive.
C’est le cas du guide d’évaluation des besoins de compensation des personnes handicapées (GEVA). Il constitue le support de la démarche d’évaluation de la situation et des besoins de compensation de la personne handicapée. Le volet central est le n° 6, qui permet d’explorer les limitations d’activité et les restrictions de participation à la vie en société, tout en prenant en compte des facteurs environnementaux. Il ne s’agit pas de faire le bilan des incapacités d’une personne, mais plutôt celui de ses capacités fonctionnelles et de ses réalisations effectives dans ses conditions de vie pour déterminer ses besoins. Les autres volets sont là pour regrouper des informations sur différents plans et apporter ainsi un éclairage sur l’ensemble de la situation : aspect familial, social et budgétaire ; environnement physique ; scolarité ; formation et activité professionnelle ; volet médical et psychologique ; aides mises en œuvre.
Ainsi, la définition de l’incapacité est en transformation sous l’impulsion des modifications de l’objet de l’indemnisation. Sa définition en lien étroit avec l’activité professionnelle n’est plus l’unique manière de la concevoir. Aujourd’hui, l’incapacité est devenue dans certains dispositifs une manière d’exprimer à un niveau déterminé les conséquences de malformations ou d’accidents, de maladies ou du vieillissement sur le fonctionnement des individus dans leur vie quotidienne.
On est passé d’une acception singulière de l’incapacité limitée à des régimes de prise en charge de la perte de capacité de travail aux incapacités plurielles et protéiformes qui prennent en compte toute réduction partielle ou totale, de la capacité d’accomplir une activité d’une façon ou dans les limites considérées comme normales pour un être humain. Cette malléabilité du terme, dommageable à sa définition, en fait une catégorie d’analyse intéressante pour appréhender l’hétérogénéité des dispositifs de prise en charge.
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Thomas Balayn
Décembre 2022