Le droit prohibe les discriminations sexuelles, directes et indirectes (C. trav., art. L. 1132-1), et, au-delà, prescrit une obligation de faire pour assurer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (C. trav., art. L. 1142-1 et s.). Malgré les progrès, les discriminations à l’encontre des femmes salariées, enfin mieux perçues comme illégitimes, demeurent et ce à des niveaux élevés. Il en est ainsi concernant la rémunération.
Le droit positif
Le droit construit avec les apports internationaux et européens offre des notions pertinentes et ambitieuses, mobilisées devant le juge, malgré des insuffisances.
La construction du droit
En 1919, le Traité de Versailles affirme de façon innovante « Le principe du salaire égal, sans distinction de sexe, pour un travail de valeur égale. » (Partie XIII, art. 427). La Convention de l’Organisation Internationale du Travail n° 100 de 1951, ratifiée par la France, prescrit « l’application à tous les travailleurs du principe de l’égalité de rémunération entre la main-d’œuvre masculine et la main-d’œuvre féminine pour un travail de valeur égale ». Ces dispositions figurent dans le Code du travail depuis la Loi n° 72-1143 du 22 décembre 1972 : « Tout employeur assure pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes. » (art. L. 3122-2).
Cette règle figure dans des textes du droit international des droits de l’homme, notamment dans la Convention internationale pour l’élimination des discriminations à l’égard des femmes de 1979 (art. 11 d) et dans la Charte sociale européenne de 1961 (art. 4 § 3). Le droit de l’Union européenne prévoit également cette disposition (Traité sur le fonctionnement de l’UE, art. 157 ; Directive n° 2006/54 du 5 juill. 2006, art. 4)
Les notions
La rémunération est définie depuis 1972 (C. trav., art. L. 3221-3). La notion de travail de valeur égale s’appuie sur des critères d’appréciation de la valeur du travail (C. trav., art. L. 3221-4, Loi Roudy n° 83-635 du 13 juillet 1983).
La jurisprudence
À la suite des contentieux engagés par Gabrielle Defrenne, la Cour de Luxembourg a progressivement construit une jurisprudence donnant un effet utile à la règle d’égalité de rémunération (CJCE 8 avril 1976, C-43/75). Cette jurisprudence fournit des critères pour apprécier le travail de valeur égale, en remettant en cause des représentations stéréotypées et dévalorisantes du travail effectué par les femmes (CJCE 27 oct. 1993, C-127/92 ; CJCE 31 mai 1995, C-400/93 ; CJCE 26 juin 2001, C-381/99 ; etc.).
Depuis le milieu des années 1990, le juge français mobilise ce droit européen et des femmes salariées obtiennent l’égalité de rémunération avec des salariés hommes (Riom, 16 janv. 1995, Usai Champignons, confirmé par Soc. 12 févr. 1997, n° 95-41.694). Ont ainsi été jugées comme étant de valeur égale, les fonctions d’une RRH et de directeurs (des affaires financières, etc.) (Soc. 6 juill. 2010, TMS, n° 09-40.021), d’une salariée ayant un CAP et ayant effectué une carrière interne avec ceux de ses collègues masculins ayant des diplômes universitaires (Soc. 16 déc. 2008, AFPA, 06-45.262), d’une technicienne administrative avec ceux d’un technicien d’atelier œuvrant dans le « cœur de métier de l’entreprise » (Soc. 4 juill. 2012, Snecma, n°11-17.522), etc.
Cette jurisprudence qualitativement significative mériterait d’être mobilisée dans les négociations collectives d’entreprise pour mieux identifier les discriminations et écarter des affirmations erronées déjà invalidées par les juridictions.
Des dispositions paradoxales
Cependant, au sein du Code du travail existent encore des dispositions ayant des effets de discrimination indirecte. Une illustration : pour le travail à temps partiel, concernant en grande majorité des femmes, les heures complémentaires sont majorées à des taux inférieurs aux heures supplémentaires. Pour le juge de Luxembourg, il s’agit d’une discrimination indirecte (CJCE 6 déc. 2007, C-300/06). De plus, aggravant la situation, et s’opposant à la jurisprudence, la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 permet aux accords de branche étendus de prévoir la conclusion d’avenants individuels temporaires en fixant le taux de majoration des heures complémentaires. De nombreux accords de branche, signés par des organisations patronales et des syndicats de salariés, ont des effets de discrimination indirecte.
La mobilisation du droit
Le droit est mobilisé dans le cadre de négociations collectives, de procédures d’information-consultation et d’alerte (ces leviers étant destinés à favoriser l’effectivité du droit). Par ailleurs, le droit peut être mobilisé par l’action en justice.
Les négociations collectives et les rôles des élus du personnel
a) Selon la Convention n° 100 de l’OIT « des mesures seront prises pour encourager l’évaluation objective des emplois sur la base des travaux qu’ils comportent. » En réponse à cette disposition, en matière de classification, « Les catégories et les critères de classification (…), notamment les modes d’évaluation des emplois, sont établis selon des règles qui assurent l’application du principe» « à travail de valeur égale, salaire égal » (C. trav., art. L. 3221-6 al. 2). Ces exigences sont également portées par le droit de l’Union européenne (CJCE 1° juill. 1986, C-237/85 ; Dir. n° 2006/54, préc., art. 4 al. 2).
Cependant, les négociations collectives de branche qui devraient permettre, depuis la loi n° 2014-873 du 4 août 2014, de réévaluer dans les grilles de classification les emplois majoritairement occupés par des femmes tardent à s’engager, y compris pour « les métiers de deuxième ligne » dont l’importance avait pourtant été soulignée pendant la pandémie de 2020-2021. Par ailleurs, les salariés, notamment les femmes salariées, peuvent obtenir la classification qui correspond à leur travail réel, « aux fonctions réellement exercées » (Soc. 19 déc. 2000, Sté Pyrénées Labo Photo, n° 98-43.331).
Au niveau de l’entreprise, la loi impose une négociation sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, portant notamment sur les mesures visant à supprimer les écarts de rémunération (C. trav., art. L. 2242-1-2°). La loi permet par accord de moduler la périodicité et le contenu de cette négociation. L’accord d’entreprise conclu, ou, à défaut, le plan d’action, doit prévoir pour chaque domaine d’action, notamment la rémunération effective, des objectifs et des actions accompagnés d’indicateurs chiffrés.
Les résultats de ces négociations sont souvent décevants. Les accords d’entreprise aux contenus formels découlent de l’absence d’état des lieux précis et complet de la situation comparée des femmes et des hommes dans l’entreprise. Le diagnostic étant négligé, la thérapie n’est pas pertinente.
Pour que les négociations soient sérieuses et loyales, l’employeur doit communiquer aux délégations syndicales les informations nécessaires pour leur permettre de négocier en toute connaissance de cause et avoir répondu de manière motivée à leurs propositions. À défaut, le juge peut ordonner à l’employeur la communication des informations nécessaires à une négociation authentique « à armes égales » (Paris, 23 mai 2019, SAS Éricsson, RG n°18/24253).
Dans le cadre contentieux, plusieurs procédures permettent d’obtenir de l’employeur la communication de données comparatives sur les rémunérations et les évolutions de carrière de salariés (Soc. 19 déc. 2012, n° 10-20.526 ; l’action de groupe, Paris, 13 oct. 2022, Caisse d’Épargne, RG n°22/00797).
b) Dans les entreprises d’au moins 50 salariés, dans le cadre de la consultation sur la politique sociale, le Comité social et économique est consulté par l’employeur sur plusieurs documents contenant des informations sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Il s’agit de la Base des données économiques, sociales et environnementales (C. trav., art. L. 2312-18). La périodicité des consultations et le contenu de la BDESE peuvent être fixés par accord ou par la loi. Concernant les rémunérations, l’employeur publie chaque année l’ensemble des indicateurs relatifs aux écarts de rémunération entre les femmes et les hommes et aux actions mises en œuvre pour les supprimer (C. trav., art. L. 1142-8). Cet « index » indique notamment l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes « par catégorie de postes équivalents » (C. trav., art. D. 1142-2-1), soit avec un niveau d’exigence inférieur aux dispositions légales portant sur les emplois de « valeur égale ». Et le fait pour une entreprise de présenter un index avec un niveau satisfaisant ne signifie pas l’absence de discrimination (CPH Montpellier, 15 avril 2019, IBM, et Montpellier, 9 juin 2021, IBM, RG n° 16/05765).
Le Comité peut recourir à différents experts pour faire analyser la situation concernant l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes, notamment en vue de préparer la négociation sur ce thème, et peut créer une commission de l’égalité professionnelle. Par ailleurs, un droit d’alerte peut être déclenché par chaque élu du Comité en cas de discrimination (C. trav., art. L. 2312-59).
L’application du principe de l’égalité de rémunération est entravée par le manque de transparence des systèmes de rémunération (CJCE 17 oct. 1989, C-109/88), l’accès aux données étant consubstantiel à l’accès au droit. La proposition de directive visant à renforcer l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes par la transparence des rémunérations prévoit notamment que « L’employeur met à la disposition de ses travailleurs, d’une manière facilement accessible, les critères qui sont utilisés pour déterminer la rémunération, les niveaux de rémunération et, le cas échéant, la progression de la rémunération des travailleurs. » Les entreprises d’au moins 250 salariés devraient communiquer des données relatives à l’écart de rémunération entre travailleurs féminins et travailleurs masculins. Un droit à l’information des travailleurs est prévu portant « sur leur niveau de rémunération individuel et sur les niveaux de rémunération moyens, ventilées par sexe, pour les catégories de travailleurs accomplissant le même travail ou un travail de même valeur que le leur ».
L’adoption et la transposition de cette proposition de directive sont susceptibles de faire évoluer de façon sensible les dispositifs existants et l’action des acteurs. Dans trop d’entreprises, il s’agit encore de « Tout changer, pour que rien ne change », de respecter les procédures (conclusion d’un accord, etc.) pour éviter les sanctions (administratives et pénales) et ce sans modifier sensiblement la situation des femmes salariées ; le respect des obligations procédurales ne signifiant pas l’application du droit substantiel.
L’action en justice
En matière civile, les salariées bénéficient de l’aménagement de la charge de la preuve et peuvent obtenir la réparation intégrale des préjudices (réparation en nature – alignement de leurs salaires sur ceux de leurs collègues masculins ; réparation indemnitaire – dommages-intérêts couvrant les pertes de salaire depuis le début de la discrimination, et, le cas échéant, au regard d’autres préjudices, perte de chance de rester en bonne santé, préjudice moral, etc.). « Le droit devient une menace crédible. » (Évelyne Serverin). Cette action civile peut s’appuyer sur les constats réalisés par l’Inspection du travail et par le Défenseur des droits.
Dans le domaine pénal, l’Inspection du travail peut se faire communiquer tout document ou tout élément d’information pour vérifier le respect de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, notamment en matière de rémunération (C. trav., art. L. 8113-5-2°), peut procéder à une enquête contradictoire et relever les infractions par procès-verbal (C. trav., art. R. 3222-1 et L. 1146-1 ; Trib. correc. Nantes, 11 mai 2006, Vinet ; Crim. 31 mai 1988, n° 87-84.441 et 6 nov. 1990, n° 89-86.526).
Octobre 2022
BLANCHARD S., POCHIC S., Quantifier l’égalité au travail, PUR, 2021.
LANQUETIN M.-T., « Chronique juridique des inégalités de salaires entre les femmes et les hommes », in Travail, genre et sociétés 2006/1 (n° 15).
MARUANI M., Travail et emploi des femmes, 2017, La Découverte.
MINE M., Droit des discriminations dans l’emploi et le travail, 2016, Larcier.
NIVARD C. (dir.), Charte sociale européenne, Commentaire article par article, Vol. 2, 2022, Éd. Brill.
Michel MINE
Décembre 2022