L’action consistant à transférer au salarié des éléments de connaissance sur lui-même ou sur le monde a longtemps surtout résulté de l’initiative volontaire de la partie patronale. À côté de ces politiques de communication interne aux entreprises, aujourd’hui généralisées et rationalisées, des règles imposant à l’employeur de transmettre certaines données aux salariés ont toutefois progressivement fleuri en droit français. Les unes ont pour destinataires les représentants des travailleurs. Elles visent à donner corps au principe de participation reconnu par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. L’information des élus du personnel et des organisations syndicales doit les mettre en mesure d’agir sur la détermination collective des conditions de travail ainsi que sur la gestion des entreprises. D’autres obligations d’informer ont pour destinataires les salariés eux-mêmes. Développées à compter du dernier quart du siècle dernier, elles font écho à l’ambition que se donnait alors le droit du travail de « démocratiser » l’entreprise en civilisant et en rééquilibrant les rapports sociaux. Pour parvenir à cet objectif, le droit a cherché tant à encadrer le pouvoir de l’employeur qu’à renforcer le pouvoir de décision du salarié. Dans le premier cas, l’information assure la transparence des actions de l’employeur et donne au travailleur la possibilité de discuter, critiquer, voire contester celles-ci. Dans le second cas, l’information s’apparente à un miroir permettant au salarié de mieux connaître sa situation afin qu’il puisse effectuer des choix conformes à ses intérêts.
L’information-transparence
L’information-transparence vise à modifier le rapport qu’entretient la personne informée avec celui qui l’informe. Lorsqu’elle intervient avant la prise de décision, au stade du processus délibératoire, l’information vise à donner au destinataire la possibilité de discuter des choix de son interlocuteur. En droit du travail, ce type d’information individuelle du salarié se rencontre essentiellement lors des procédures disciplinaires (Loi n°82-689 du 4 août 1982) ou de licenciement (Loi n°73-680 du 13 juillet 1973). Informé des griefs qui lui sont reprochés, le salarié est considéré être en mesure de se défendre ou de s’expliquer.
En complément de cette déclinaison du principe du contradictoire dans des procédures non contentieuses, d’autres obligations d’informer s’apparentent à des obligations de « rendre compte » et constituent le préalable nécessaire d’éventuelles procédures contentieuses. Contester les agissements de l’employeur suppose en effet qu’il soit possible, dans un premier temps, d’apprécier la régularité du comportement de l’employeur et, dans un second temps, d’apporter la preuve des manquements allégués. Or le travailleur est à cet égard dans une situation inconfortable. Il ne dispose ni des facultés d’injonctions du juge, ni des possibilités d’investigation de l’inspecteur du travail, ni des pouvoirs de surveillance patronaux. Pour pallier ce déficit de connaissance et ces difficultés probatoires, le législateur a imposé à l’employeur de rendre compte de certaines de ses actions. Illustration peut en être donnée avec les mentions informatives figurant sur les contrats de travail à durée déterminée (art. L. 1242-12 C. trav.) ou les contrats de mission des travailleurs temporaires (art. L. 1251-16 C. trav.). Ces dernières doivent donner au salarié la possibilité de contrôler que l’employeur a respecté les cas de recours et les conditions d’emploi inhérentes à ces contrats atypiques.
L’information-miroir
L’examen du droit positif met également en lumière une seconde catégorie d’obligations d’informer, ayant pour finalité de modifier le rapport que noue la personne informée avec son environnement. L’objectif est de donner au salarié la possibilité de se faire une exacte représentation de la réalité dans laquelle il s’inscrit afin qu’il puisse se fixer une ligne de conduite conforme à ses intérêts.
De nombreuses obligations d’informer ont ainsi progressivement vu le jour dans le cadre des politiques de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Les « actions d’information » constituent d’ailleurs l’un des outils majeurs des politiques de prévention des risques (Art. L. 4121-1 C. trav.). Plus récemment, l’information prévue par la directive n°2019/1152 du 20 juin 2019 relative à des conditions de travail transparentes et prévisibles dans l’Union européenne offre une nouvelle déclinaison de cette idée. En imposant aux employeurs « d’informer les travailleurs des éléments essentiels de la relation de travail » (Art. 4), le droit crée une obligation qui vise à corriger l’incomplétude du contrat de travail. Il s’agit de donner aux salariés les ressources cognitives indispensables pour qu’il puisse exercer leurs droits et articuler de manière satisfaisante vie professionnelle et vie personnelle.
Limites
Si les finalités multiples de l’information ont fait du salarié le destinataire de multiples obligations d’informer, l’utilité de ces dernières comme outil de transformation des relations de travail ne doit pas être surestimée. La première raison tient au constat d’un certain reflux des obligations d’informer dans la période la plus récente. En témoigne, en droit européen, la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme (Cour EDH, López Ribalda et autres c. Espagne,17 oct. 2019, req. 1874/13 et 8567/13) jugeant une vidéosurveillance de caissière de supermarchés conforme à la Convention dès lors que des vols avaient été constatés dans l’entreprise et que l’utilisation des caméras occultes n’avait duré que quelques jours et n’avait concerné que l’espace autour des caisses. Il résulte de cette décision qu’est reconnu à l’employeur la possibilité d’agir masqué et d’atteindre la vie privée sociale des salariés sans que ces derniers en aient connaissance. Ce recul touche également le droit interne. Affaiblissant considérablement l’obligation pour l’employeur de fournir les raisons l’ayant conduit à licencier un salarié, l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 a édicté que l’insuffisance de motivation ouvrait seulement droit à une indemnité n’excédant pas un mois de salaire (Art. L. 1235-2 al. 3 C. trav.) et qu’une imprécision dans la lettre de rupture pouvait être corrigée ultérieurement (Art. 1235-2, al. 1 C. trav.). La Cour de cassation a confirmé (Soc. 29 juin 2022, n° 20-22.220) qu’aucune disposition n’imposait à l’employeur d’informer le salarié dans la lettre de rupture qu’il disposait d’un droit à demander que les motifs de la lettre de licenciement soient précisés.
Ces évolutions, qui montrent un certain recul de l’information du salarié dès lors qu’elle est susceptible d’affaiblir le pouvoir patronal, doivent être mises en relief avec une seconde tendance, consistant à user de l’information du salarié comme un substitut à la reconnaissance d’une véritable faculté de résistance face au pouvoir de l’employeur. La jurisprudence selon laquelle l’employeur peut ouvrir tout fichier ou document identifié comme « personnel » par le salarié dès lors que celui a été « dûment appelé » (Soc. 17 mai 2005, n°03-40017) en atteste. Faute d’arrimer l’information à une véritable prérogative du salarié, l’obligation pesant sur l’employeur de prévenir le salarié risque de demeurer un leurre, une coquille vide de sens.
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Benjamin Dabosville
Décembre 2022