Simple dans son principe, le référendum est la procédure par laquelle une assemblée répond par « oui » ou par « non » à une question dont l’objet varie. Distinct de l’élection et du plébiscite, il est le mécanisme qui consiste à soumettre un acte ou un projet à l’approbation d’un corps constitué. Dans un sens plus strict mais aussi plus usuel, il correspond à la procédure de participation directe par laquelle les citoyens approuvent les normes ou décisions envisagées par leurs représentants. Instrument polymorphe, et donc modulable, il peut être légal ou extra-légal, facultatif ou obligatoire, consultatif ou décisionnel. Simple, démocratique et adaptable ; le référendum présente d’indéniables vertus. Il n’est donc pas surprenant que cet instrument, traditionnellement rattaché à l’organisation du pouvoir politique en démocratie, se soit décliné dans d’autres domaines. Mais dans celui des relations professionnelles, l’engouement pour ce procédé fût d’abord mesuré. Légalement consacré pour la première fois en 1946 en matière de retraites complémentaires puis étendu à l’épargne salariale aux horaires individualisées et à la réduction du temps de travail, il resta une pratique marginale jusqu’au début du XXIème siècle. Lorsque la loi Auroux du 13 novembre 1982 proclama la citoyenneté des travailleurs dans l’entreprise et leur reconnut, à ce titre, un droit à l’expression quant à leurs conditions de travail, ce dernier ne se matérialisa pas par la consécration du référendum d’entreprise dans la procédure de conclusion des accords collectifs (DABOSVILLE 2019). Pour le Ministre du travail de l’époque, sauf à risquer l’affaiblissement des syndicats représentatifs, agents privilégiés de la négociation collective, le référendum dut rester une procédure exceptionnelle d’adoption d’un accord. Il faut convenir que le référendum met à l’épreuve la complémentarité du système représentatif et de la participation directe des représentés. Dans la pratique comme dans la théorie, le référendum a, en effet, émergé comme un instrument de rééquilibrage du pouvoir et de légitimation des actes en démocratie. Mais l’entreprise n’est pas une structure démocratique. La représentation syndicale n’a pas pour objet l’exercice de la souveraineté des citoyens-salariés mais l’expression et la défense de l’intérêt collectif d’individus subordonnés à un employeur. Aussi l’idée de protection des salariés par un système de représentation a-t-elle d’abord « conduit à une méfiance envers le référendum qui minimise le rôle des représentants » (GRIMALDI D’ESDRA 1994). Mais le temps de la méfiance, du moins celle du législateur, est aujourd’hui révolu. Tantôt mode de ratification d’un accord collectif, tantôt mode d’approbation d’un projet de l’employeur assimilé à un accord collectif, le référendum occupe un rôle central dans la conclusion de normes collectives. Pourtant, la diffusion dans l’entreprise de cette technique tirée de la démocratie politique se heurte encore à certaines limites. La réalisation de ses fonctions traditionnelles de participation des représentés, de contrôle des représentants et de légitimation des actes est étroitement liée à ses conditions de recours et de mise en œuvre, conditions qui à, au vu des dernières réformes, ne semblent pas suffisamment prendre en compte les spécificités du droit des relations professionnelles.
En droit du travail, la participation des travailleurs fonde et garantit l’existence d’institutions représentatives des personnels dans l’entreprise et recouvre notamment un droit à la négociation collective des travailleurs. En ce sens, le référendum, en tant que mode d’expression directe des salariés, porte en lui un risque de contournement du principe de participation. Tel qu’il a été intégré dans le droit commun de la négociation collective par la loi du 8 août 2016, le référendum a d’abord vocation à compléter un processus de négociation mené avec des représentants du personnel. Qu’il s’agisse d’un accord collectif d’entreprise signé par des organisations syndicales représentatives minoritaires (ayant recueilli plus de 30 % des suffrages exprimés en faveur d’organisations représentatives mais moins de 50%) ou d’un accord conclu par des agents alternatifs, la consultation consiste en une procédure de ratification d’un acte conclu par des représentants. Dans un cas, comme dans l’autre, son caractère négocié n’est nullement sacrifié car la consultation s’inscrit dans le processus négociation collective. Il ne s’agit donc pas a priori de contourner la représentation des salariés. Mais la consultation des salariés n’est pas toujours appréhendée comme un complément à la représentation défaillante des salariés. Jusqu’alors autorisé dans quelques domaines particuliers, le référendum est récemment devenu le mode exclusif de formation d’un accord collectif – c’est la qualification retenue par le juge constitutionnel dans un arrêt rendu le 21 mars 2018 (n° 2018-761) – dans les entreprises dépourvues de toute représentation élue ou syndicale. Depuis l’ordonnance du 22 septembre 2017, il est en effet admis qu’un projet d’accord élaboré unilatéralement par l’employeur et sans l’intervention de représentants du personnel soit soumis à l’approbation majoritaire des salariés et assimilé, une fois validé, à un accord collectif d’entreprise. Dans cette hypothèse, la consultation des salariés devient un substitut imparfait de la négociation collective, un mode d’approbation d’une norme interne non négociée et pourtant susceptible d’engager l’ensemble de la collectivité du personnel. En désindexant le principe de participation du droit de la représentation des salariés, le référendum portant sur le projet unilatéral de l’employeur conduit alors à dénaturer notre modèle de négociation (FERKANE 2017) et à remettre en cause l’utilité même, dans ce processus, de l’existence d’intermédiaires. Mais lorsqu’il porte sur un acte négocié et conclu par des représentants du personnel, rien ne garantit la conformité de ce dispositif aux exigences des relations professionnelles. Tout dépend de ses conditions de recours.
Parce que les accords collectifs conclus par des organisations syndicales représentatives s’imposent aux salariés, celles-ci doivent pouvoir se prévaloir d’une certaine légitimité à l’égard de leurs représentés. À la fin du XXème siècle, cette exigence s’imposa avec d’autant plus de force que la négociation emprunta un cours largement dérogatoire. Dans cette perspective, le législateur décida de consolider « les garanties d’adhésion des collectivités de travailleurs à l’accord » (BORENFREUND 2011) en durcissant les conditions d’accès à la négociation collective et les conditions de validité des normes conventionnelles. À présent, la représentativité des syndicats, qui conditionne leur capacité à négocier, est subordonnée à l’obtention d’un seuil d’audience électorale et la validité de l’accord collectif d’entreprise à sa conclusion par des organisations ayant recueilli au moins 50% des suffrages exprimés lors du premier tour des élections professionnelles. Mais face au risque de paralysie de la production conventionnelle avancé par certains parlementaires, le législateur accompagna cette exigence majoritaire d’un garde-fou. En présence d’un accord collectif d’entreprise signé par l’employeur et par des organisations syndicales représentatives ayant recueilli entre 30% et 50% des suffrages exprimés, l’accord peut être validé par la ratification de la majorité des salariés consultés. Il est a priori heureux qu’au cours du cycle électoral les salariés soient mis en mesure de vérifier la capacité d’engagement de syndicats représentatifs et de contrôler l’accord collectif susceptible de les engager. Le vote électoral ne saurait en effet « être entendu comme privant chaque travailleur de toute expression de volonté face aux actes accomplis par ses représentants entre deux échéances électorales » (BORENFREUND, FAVENNEC-HERY 2016). Mais, au regard de la place cardinale qu’occupe le critère d’audience électorale dans l’accès à la représentativité syndicale, plus qu’un mécanisme de vérification du pouvoir de représenter des syndicats, le vote référendaire fait ici figure de désaveu du vote électoral. Car le référendum portant sur un accord minoritaire a davantage pour objet de contourner l’opposition des syndicats représentatifs majoritaires, que de contrôler leur action. Soumettre un accord collectif minoritaire à la consultation des salariés alors que des syndicats majoritaires s’opposent à cet accord suggère « une attitude frondeuse de ces organisations syndicales, et non à une appréciation juste de l’opposition des intérêts » (SACHS, WOLMARK 2017). Aussi, en prévoyant un mécanise de sauvetage de l’accord minoritaire, le législateur délégitime l’opposition des organisations majoritaires et, avec elle, le vote électoral sur lequel elles s’appuient. Pourtant, nous l’avons souligné, le référendum présente d’indiscutables qualités. Consultatif, il gagnerait à trouver « sa place dans le processus de négociation en permettant le développement du débat et en créant un véritable processus délibératif » (KAPPOPOULOS 2010). Décisionnel, son initiative pourrait être restreinte aux seuls syndicats représentatifs majoritaires. Il s’agirait alors d’une méthode pertinente pour garantir la légitimité du processus de négociation d’entreprise, pour s’assurer de l’adhésion des travailleurs à l’accord collectif et de leur soutien aux agents de la négociation, sans remettre en cause leur légitimité élective. Mais ce n’est pas l’orientation retenue par l’ordonnance du 22 septembre 2017, relative au renforcement de la négociation collective. Initialement réservée aux seuls syndicats, la possibilité de demander l’organisation de la consultation portant sur un accord collectif minoritaire est désormais ouverte à l’employeur. Au vu de ces différentes hypothèses de contrôle, le référendum s’impose donc comme un outil d’assise de la légitimité de l’acte au service d’une productivité conventionnelle.
Cet instrument est une manifestation de l’exigence majoritaire qui garantit, en principe, la légitimité de l’acte soumis à l’approbation de la collectivité de travail. Mais il présente certaines caractéristiques intrinsèques susceptibles de ne donner lieu qu’à une légitimité d’apparat. Parce qu’il transforme en choix binaires des questions complexes, ce procédé n’est d’abord pas sans incidence sur la qualité de la participation des salariés. Lorsque l’acte soumis à la ratification ou à l’approbation de la collectivité du personnel est susceptible d’engendrer des bouleversements dans l’organisation du travail, la simplicité du mécanisme menace la protection des intérêts des travailleurs. En effet, la simplicité du procédé évince la complexité de l’objet : soumettre à ratification un accord collectif ou un projet de l’employeur, c’est en réalité soumettre une multitude de questions à une réponse unique, nécessairement simplificatrice. Qui plus est, il importe peu que les salariés aient les connaissances suffisantes pour comprendre les questions traitées par le projet et les conséquences de sa mise en œuvre ou de son rejet. Le sens des alternatives (« oui » ou « non ») est par ailleurs le résultat d’une construction à laquelle contribue chaque agent, en fonction de son parti-pris référendaire ( PIRAT 2009). Or, cette construction dépend de la campagne menée par les différents partisans et suppose alors un jeu de communication acharné susceptible d’influencer directement l’interprétation retenue par les salariés et donc in fine leur choix. Aussi, lorsque le référendum porte sur une norme susceptible d’entrainer une dégradation générale des conditions de travail dans l’entreprise et intervient dans un contexte de chantage à l’emploi, le sens du refus ne laisse guère de place à l’interprétation. Détachée de ses conditions d’obtention, l’approbation référendaire ne serait alors vectrice que d’une légitimité tirée du nombre. Car le référendum porte en lui le règne du nombre. Quel que soit le domaine auquel il se rapporte, il est susceptible de conduire à la méconnaissance, par une majorité parfois circonstanciée, des intérêts d’une minorité. Aussi, si le référendum est un procédé doué de nombreuses qualités, dans l’entreprise ces dernières ne se révèlent qu’à l’aune de conditions de recours et de mises en œuvre encadrées, seules susceptibles d’éviter qu’il ne soit qu’une illusion participative
DABOSVILLE B., « Le referendum d’entreprise ou le spectre de la démocratie illibérale », Droit Ouvrier, 2019, n°852, p. 433
GRIMALDI D’ESDRA J., « Nature et régime juridique du référendum en droit social », Droit social, 1994, p. 397
FERKANE Y., L’accord collectif de travail – Étude sur la diffusion d’un modèle, Dalloz, coll. Nouvelle Bibliothèque de Thèses, vol. n°166, 2017, n° 557, p. 437
BORENFREUND G., « Le vote et la représentation syndicale. Quelques interrogations à partir de la loi du 20 août 2008 » in O. Leclerc, A. Lyon-Caen (dir.), L’essor du vote dans les relations professionnelles. Actualités françaises et expériences européennes, coll. Thèmes et commentaires, 2011, pp. 18 – 19
SACHS T., WOLMARK C., « Les réformes 2017 : quels principes de composition ? », Droit social, 2017, p. 1008
BORENFREUND G., F. FAVENNEC-HERY F., « Le renforcement de la légitimité des accords collectifs justifie-t-il un effacement de la volonté individuelle du salarié ? », RDT, 2016 p. 309
KAPPOPOULOS I., Un nouveau droit de la négociation collective – Essai sur la négociation organisationnelle, thèse, 2010, Université Lille 2, p. 52.
PIRAT I., « Oui ou non. Le piège rhétorique du référendum », Mots. Les langages du politique, 2009
COHEN-DONSIMONI V., « Le référendum comme mode de validation d’un accord collectif », Droit social, 2018, p. 422
Victoire Delorme
Décembre 2022