1.
Au plus près de la langue du droit, ce terme désigne la présence, croissante sans doute, de procédures instituées par le droit.
L’accent ainsi mis sur les procédures est riche de certaines interrogations.
Le terme invite à donner un sens propre à la procédure et à ne pas rabattre les procédures sur de simples formes ou formalités. La procédure est une voie organisée qui conduit à l’énoncé (qu’il s’agisse d’une décision, d’un avis…).
Bien connue dans l’activité juridictionnelle, la procédure s’est répandue hors de tout procès. A côté des procédures administratives non contentieuses, les décisions de l’employeur ont été progressivement soumises à des procédures qui font sortir ces décisions du for interne de leur auteur et permettent d’armer leurs critiques. La diffusion des procédures, gracieuses, contentieuses, internes à l’administration et à l’entreprise crée la nécessité de les rapprocher comme de les distinguer, et de déterminer les raisons de leur institution, au-delà du sentiment partagé, mais imprécis, de les tenir comme une pièce essentielle à la protection des droits.
2.
A distance de la langue du droit, le terme de procéduralisation est utilisé pour décrire certaines mutations du droit.
Les théories descriptives dans lesquelles s’inscrit l’usage de ce terme sont diverses. L’une d’elles s’efforce de caractériser le rapport entre les normes et l’action, pour faire apparaître un rapport dit procédural qui se distinguerait d’autres manières, expérimentées dans l’histoire, de concevoir ce rapport. Dans un modèle libéral, ce rapport est formel, en ce sens que le droit s’efforce de rationaliser l’action en se préoccupant de sa forme : il organise les interactions entre agents libres. Dans le modèle de l’Etat social, ou providence, cette rationalisation porte sur le contenu des actions qui doivent tendre à certains résultats : le droit établit un programme.
Ce sont les changements de ce dernier modèle qui se prêteraient à une qualification procédurale. De nouvelles institutions et règles essaient de renforcer la capacité des normes d’être perçues comme modèle pour l’action et de servir, effectivement, de modèle. Leur cohérence avec leur contexte d’application, les conditions requises pour assurer la transformation du contexte qu’implique l’accomplissement de l’action deviennent des préoccupations essentielles dans la conception des normes et leur application. D’où l’importance des espaces de délibération et des échanges sur les diverses justifications avancées.
Comme ces mutations ne sont pas toujours observables, il arrive que les théories de la procéduralisation du droit glissent vers des préconisations et deviennent prescriptives.
3.
Une place à part doit être réservée à l’usage du terme dans une théorie plutôt sociologique du droit, qui demande à regarder le droit, comme un système, un système cognitif parmi d’autres.
La procéduralisation éclaire la façon dont est réglée la concurrence entre le droit et un autre système cognitif, comme par exemple la science. Le droit peut prétendre dire tout. Il peut, à l’inverse, déléguer à d’autres savoirs le soin de dire. La figure de l’expert prend alors son sens.
Entre tout et rien, le droit peut choisir de définir les conditions d’incorporation en son sein d’autres savoirs, notamment en définissant les procédures de connaissance dont il requiert le respect pour une telle incorporation.
C’est alors que la concurrence du droit et d’autres systèmes cognitifs fait l’objet d’un règlement procédural.
Il serait instructif de recourir à un tel règlement dans la concurrence entre le droit et l’économie, comme système.
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Décembre 2022