Etendard parmi les étendards, la convention collective constitue à n’en pas douter l’une des sources les plus fameuses du droit du travail. Procédé séculaire, elle a largement contribué à l’affirmation de la singularité de cette branche du droit, alimentant les discours les plus radicaux sur son autonomie. Elle a également, par un effet de capillarité remarquable, contribué à son rayonnement en se diffusant par-delà ses frontières dans d’autres branches du droit.
Genèse
D’aucuns s’accordent à voir dans la « convention » minière dite d’Arras, discutée les 27 et 29 novembre 1891, l’ancêtre des conventions collectives de travail modernes (KOURCHID, R. TREMPE 1994). Le dispositif naissant est alors employé à des fins de résolution des conflits collectifs dans l’entreprise. Est ainsi mise en évidence l’imbrication originelle des modes d’action collective ainsi que la fonction pacificatrice de l’accord, celui-ci venant mettre fin à une grève. Dans le même ordre d’idée, cette convention d’un genre nouveau prendra la forme de procès-verbaux d’arbitrage et de conciliation dans le cadre de la procédure fixée par la loi du 27 décembre 1892. Quelques années plus tard, les décrets Millerand du 10 août 1899 feront des « accords entre les syndicats patronaux et ouvriers de la localité ou de la région » le marbre dans lequel seront gravés les usages professionnels ayant cours en matière de rémunération et de temps de travail et que devront respecter les entrepreneurs ayant remporter des marchés publics. Au début du 20e siècle, les travaux menés par la Société d’études législatives, société savante composée de professeurs issus des facultés de Droit, attestent de l’intérêt grandissant porté à cette figure nouvelle qu’est la convention collective, mais aussi des difficultés que rencontrent alors les juristes à la situer dans leur univers conceptuel encore empreint de l’individualisme libéral du code civil de 1804. Ils influenceront, au lendemain de la première guerre mondiale, le législateur à l’occasion de l’adoption de la loi du 25 mars 1919 qui, la première, reconnaîtra et encadrera le dispositif en le définissant comme « un contrat relatif aux conditions de travail ». Au fil des décennies, l’originalité profonde de cet acte juridique conventionnel s’affirmera crescendo l’éloignant quelque peu de la figure du contrat et l’élevant comme la composante centrale d’un véritable statut d’origine professionnelle, le statut collectif des salariés.
Qualification légale
En quête d’éléments de définition, c’est en première approche dans la loi que l’on est tenté de prospecter. S’y dessinent les contours de la convention collective, du moins de sa conception légale. Aux termes d’un effort de synthèse de plusieurs articles issus du code du travail, deux critères de qualification transparaissent principalement.
Le premier critère, d’ordre organique, tient aux signataires de la convention. La convention collective de travail est un acte écrit conclu, pour le compte des salariés, par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives dans le champ d’application de la convention ainsi que par une ou plusieurs organisations syndicales d’employeurs, ou toute autre association d’employeurs, ou un ou plusieurs employeurs pris individuellement (C. trav. art. L. 2231-1). Ce premier critère révèle le lien organique entre l’acteur syndical et le droit de conclure des conventions collectives. Ce droit reste, aujourd’hui encore, une prérogative reconnue au profit des seules organisations syndicales parvenues à établir leur qualité représentative. Sur le fondement de l’alinéa 8 du Préambule de la Constitution de 1946, le Conseil constitutionnel reconnait d’ailleurs au profit des organisations syndicales une « vocation naturelle à assurer, notamment par la voie de la négociation collective, la défense des droits et intérêts des travailleurs » sans pour autant leur attribuer « un monopole de la représentation des salariés en matière de négociation collective » (Décision n° 96-383 DC du 6 novembre 1996). Cette intervention des organisations syndicales représentatives est essentielle. Elle explique, au vu du pouvoir de représentation que leur confère la loi dans la négociation collective, la force juridique remarquable reconnue au profit de la convention collective. Elle est censée garantir que le lien entre représentant et représentés ne se distende pas.
Le second critère, d’ordre matériel, renseigne sur le contenu de cet acte. Ce dernier est susceptible de porter tant sur les conditions d’emploi, de formation professionnelle et de travail que sur les garanties sociales des salariés (C. trav. art. L. 2221-1). Cette liste n’a eu de cesse de s’étendre au cours du siècle passé. Elle autorise la convention collective à embrasser un large spectre de thèmes (d’objets). A l’origine, la convention avait exclusivement vocation à régir « les conditions auxquelles doivent satisfaire les contrats de travail individuels » (loi du 25 mars 1919). Le dispositif est ainsi pensé, de manière restrictive, comme un moyen de formaliser et d’encadrer sur le plan collectif les relations individuelles de travail. L’article 31 a) du code du travail tel qu’introduit par la loi du 11 février 1950 fait de la convention collective « un accord relatif aux conditions de travail », autorisant une approche plus extensive du champ matériel des conventions collectives. Mais c’est surtout la loi du 13 juillet 1971 qui marque les esprits. Depuis, ce n’est plus le champ des conventions collectives que délimite le législateur, mais bien celui « du droit des salariés à la négociation collective ». De la sorte, elle autorise, conceptuellement, à ne plus penser le dispositif de la convention collective comme un, ou plutôt à admettre l’existence de différentes espèces, voire de variétés de conventions collectives (SAVATIER 1960) qui, malgré leurs différences, participent tous du droit des salariés à la négociation collective. De plus, cette loi ouvre aux interlocuteurs sociaux deux champs de négociation abyssaux. Le droit à la négociation collective des salariés a désormais vocation à s’exercer sur « l’ensemble des conditions de travail » ainsi que sur les « garanties sociales » des salariés. Cette approche large des conditions de travail permet de penser plus aisément la négociation collective au-delà des relations individuelles de travail, comme embrassant, entre autres, la représentation des salariés et le droit syndical. La notion de garanties sociales, elle, est présentée, lors des débats parlementaires ayant précédé l’adoption de la loi de 1971, comme un contenant suffisamment souple pour « inclure tous les problèmes de garantie de l’emploi, d’indemnisation du chômage, de retraites complémentaires, de formation professionnelle et d’éducation permanente, sans que l’on puisse au demeurant prétendre dresser une liste limitative des questions susceptibles d’être traitées par la convention collective, dont le domaine est laissé à la libre appréciation des parties ». Bien qu’il se soit quelque peu autonomisé, le droit des conventions collectives conclus dans le domaine de la protection sociale reste en partie rivé sur le code du travail. Cette tendance à l’extension du champ matériel de la négociation collective, et partant de celui des conventions collectives, ne sera jamais démentie. La loi du 13 novembre 1982 intégrera dans le champ visé les conditions d’emploi tandis que la loi du 4 mai 2004 y insérera, en dernier lieu, la formation professionnelle.
Négociation
La définition jusqu’ici esquissée, centrée sur un critère organique et un critère matériel, paraît à bien des égards trop frustre, voire insuffisante, sinon purement formelle. En effet, elle fait, par trop, silence sur le processus à l’origine de la conclusion de cet acte : la négociation collective. Avançant dans l’exploration définitoire, il convient d’admettre que les différentes formes de négociation menées dans le champ des relations professionnelles n’aboutissent pas nécessairement à la conclusion d’une convention collective de travail. Plus précisément, tous les produits de ces négociations (« accord atypique », contrat collectif, protocole d’accord, position commune, actes unilatéraux négociés, règlement à élaboration concertée, constat etc.) ne peuvent être érigés au rang de convention collective au sens de la loi.
La convention collective de travail est un acte négocié collectivement. C’est l’un des traits qui lui permet de se distinguer dans le concert des actes juridiques et plus spécifiquement dans celui des actes juridiques collectifs. Elle peut être rangée, pour reprendre la classification proposée par l’article 1110 du code civil, comme un accord de gré à gré dont les stipulations sont négociables entre les parties. Cependant, la négociation ici décrite est d’un genre particulier. Elle est collective en ce qu’elle est menée, au nom des salariés, par des organisations syndicales représentatives, hérauts de leurs revendications professionnelles. Elle est collective en ce qu’elle constitue un processus de rapprochement de points de vue entre acteurs représentant des intérêts supposés antagonistes et dépassant les intérêts individuels des personnes pour le compte duquel la négociation est menée. Longtemps plongée dans l’anomie, la négociation collective fait depuis quelques temps déjà l’objet d’un encadrement juridique qui invite à (re)considérer son importance dans la qualification de la convention collective de travail. Elle est également devenue un objet de recherches académiques ayant contribué à donner corps à l’hypothèse de l’émergence aux côtés du droit des conventions collectives, d’un véritable droit de la négociation collective. Mais l’idée selon laquelle la convention collective de travail serait nécessairement un acte juridique négocié collectivement est aujourd’hui quelque peu mise à mal.
Altération
Conséquence d’une très large promotion du droit négocié dans l’entreprise, la convention collective, telle que définie jusqu’ici, connaît depuis lors quelques remous. Sous couvert de diversification des agents de la négociation collective dans l’entreprise, devenue le centre de gravité de l’activité conventionnelle, c’est à l’installation et à la consolidation dans le paysage normatif d’accords non négociés – défigurés – que l’on croit assister. Bien que relativement ancien, le phénomène ne faiblit pas. Bien au contraire, il s’accélère sous l’effet des multiples réformes entreprises en l’espace de quelques années seulement. En creux, on comprend qu’au nom des différentes vertus prêtées aux conventions collectives de travail, c’est la conclusion d’un accord à tout prix qui est recherchée, peu importe le processus – ou son absence – qui le fait naître. On assisterait ainsi, dans ces hypothèses, à un découplage entre la convention collective et la négociation collective. C’est aussi, et surtout, de toute évidence, la participation des organisations syndicales à ce processus – dans l’entreprise, par l’intermédiaire des délégués syndicaux – qui est très largement remise en cause au profit d’acteurs comme le comité social et économique (CSE). Traditionnellement, le droit à la négociation collective est présenté comme le seul droit collectif fondamental à être construit autour de la distinction entre les titulaires du droit (les salariés) et ses agents d’exercice (les organisations syndicales représentatives). Toutefois, en 2017, le Rubicon semble avoir été franchi lors de l’instauration de la possibilité pour l’employeur, dans les entreprises dépourvues de délégué syndical et dont l’effectif habituel est inférieur à 11 salariés, de proposer un projet d’accord aux salariés qui porte sur l’ensemble des thèmes ouverts à la négociation collective d’entreprise. Approuvé à la majorité des deux tiers du personnel, il sera même « considéré comme un accord d’entreprise valide » (C. trav. art. L. 2232-22). Le malaise est grand face à cette nouvelle figure juridique, fruit d’un dialogue informel et désincarné, qu’est l’accord ratifié. Son mode d’élaboration est, faut-il le préciser, marqué par le sceau de l’unilatéralité. De fait, l’établissement du projet d’accord ne donne pas lieu, du moins la loi ne l’exige pas, à des négociations entre des représentants des salariés et l’employeur. En d’autres termes, le droit de conclure des conventions collectives n’est plus nécessairement un droit intermédié.
Force juridique en extension
Il est commun de lire dans les manuels de droit du travail que la convention collective tirerait son caractère collectif, et par là même son originalité profonde, des effets qu’elle produit (contra ROUJOU DE BOUBEE 1961), faisant même parfois abstraction de son mode de formation. Il est vrai que la force juridique qu’elle exerce est remarquable. En principe, l’effet relatif des contrats commande de ne reconnaître qu’un effet inter partes à l’accord. La convention collective de travail se démarque sur ce point. La loi du 24 juin 1936, la première, libéra la convention collective de son carcan contractuel sans pour autant le répudier. Elle l’autorisa, lorsqu’elle est conclue au niveau de la branche, à produire ses effets au-delà de ses signataires par l’entremise de son extension par voie d’arrêté ministériel. La convention collective – de branche – devint alors loi de la profession. En fixant les garanties applicables aux salariés employés par l’ensemble des entreprises relevant de son champ d’application, peu important que celles-ci aient adhéré à un groupement patronal signataire, elle se voit reconnaître comme mission de réguler la concurrence et d’harmoniser les conditions de travail dans le secteur considéré. La loi du 11 février 1950 marque une rupture plus radicale encore avec la loi du 25 mars 1919. En effet, elle confère un effet erga omnes aux conventions collectives cette fois-ci non étendues en y assujétissant tous les salariés relevant de son champ d’application, sans considération de leur appartenance à une organisation syndicale signataire.
Force juridique en intensité
Dans les rapports qu’elle entretient avec le contrat de travail, on dit traditionnellement de la convention collective qu’elle produit un triple effet. En premier lieu, il est question d’un effet impératif en vertu duquel les parties ne peuvent écarter le bénéfice des droits que la convention collective accorde au salarié sauf dispositions plus favorables. Cette combinaison entre effet impératif et principe de faveur est la marque d’un consensus ancien. Instrument de nivellement, la convention collective joue comme une machine « à broyer les disparités » (DESPAX 1989). Toutefois, l’action du principe de faveur garantit une sphère d’expression de l’intérêt individuel du salarié. En deuxième lieu, l’effet automatique implique que les dispositions de la convention collective s’appliquent directement en privant d’application les clauses contraires du contrat. En dernier lieu, l’effet immédiat permet à la convention collective de s’applique immédiatement aux contrats en cours.
La force juridique en intensité ici décrite ne signifie pas pour autant que la convention collective atteint la substance du contrat de travail. Le principe de non-incorporation commande de considérer ces deux normes comme parfaitement autonomes même si la terminologie parfois employée par la jurisprudence semble suggérer le contraire en affirmant que la convention collective ne peut « modifier » le contenu du contrat de travail. Toutefois, ce principe n’est pas d’airain. Les dispositifs « Aubry » et « Warsmann », les accords de maintien de l’emploi, les accords de mobilité interne ou bien encore, dernière occurrence en date, les accords de performance collective ont ébréché cette représentation. Les rapports entre le contrat de travail et la convention collective ne sont plus nécessairement gouvernés par la règle de faveur. L’effet impératif de la convention collective est renforcé au détriment de la faculté de résistance du salarié. La convention s’impose dans les cas prévus par la loi au salarié sans que celui-ci n’ait à consentir, y compris lorsque ce sont les piliers du contrat de travail qui sont ébranlés. Point d’orgue de l’évolution ici décrite, l’introduction des accords de performance collective suscite de nombreuses interrogations que la jurisprudence n’a pas encore tari. Aux termes de l’article L. 2254-2 du code du travail, les stipulations cet accord « se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail ». Elle préserve toutefois la faculté du salarié de « refuser la modification de son contrat de travail résultant de l’application de l’accord » sans que l’on sache encore véritablement si ce droit au refus accordé au salarié le prémunit de faire l’objet d’un licenciement présumé justifié. Cette emprise accrue de la convention collective sur le contrat de travail est d’autant plus perceptible dans les hypothèses, de plus en plus fréquentes, où la première commande la licéité du second. Le contentieux ayant trait aux conventions de forfait est, à ce titre, symptomatique de cette tendance.
Nature juridique
Cette force juridique remarquable nourrit l’antique, décatis voire insoluble débat sur la nature juridique de la convention collective de travail. Dès l’origine, nombreuses furent les études juridiques menées en la matière. Le défi était d’ampleur. Comment expliquer, à partir des cadres juridiques existants, qu’un acte juridique contractuel puisse produire des effets à l’égard de tiers ? Les errances jurisprudentielles observées à la fin du 19e siècle témoignent des difficultés rencontrées par les syndicats à faire respecter les contrats collectifs/accords de fin de conflit de l’époque (BRAYNAUD 1901). La doctrine, en droit privé, sut tirer parti des catégories civilistes bien connues telles que la stipulation pour autrui (PLANIOL 1903) ou bien encore le mandat (NAST 1907) pour nourrir la réflexion. Toutefois, le résultat ne convainquit pas, ces tentatives ayant été qualifiées d’échec (RIPERT 1955). Dans le champ du droit public, l’on s’engagea également dans cette entreprise d’identification de la nature de la convention collective et « dans la voie d’une interprétation qui mettait à l’arrière-plan les volontés individuelles » (PIROU 1946). Les auteurs s’attachaient alors à déceler dans la convention collective, « une règle objective de droit » créant une situation « générale et permanente » (BRETHE DE LA GRESSAYE 1921 ; DUGUIT 1921). S’éloignant d’une logique binaire résumant la question de la nature juridique de la convention collective à une alternative entre contrat et règlement, certains auteurs vont développer une approche dualiste de cet acte juridique sur laquelle un consensus semble avoir été, depuis, trouvé en doctrine. La convention collective serait une figure hybride, chimère juridique au corps de contrat et à l’âme d’une loi, selon l’expression du juriste italien Francesco Carnelutti. Le propos mérité certainement d’être affiné. D’aucuns précisent que c’est essentiellement au stade de sa formation que l’essence contractuelle de la convention collective serait perceptible, tandis que ses effets s’apparenteraient à ceux d’un règlement. D’autres estiment que la nature juridique varierait « en fonction du niveau, mais aussi peut-être de l’objet de l’accord » (BARTHELEMY 2008). Dans le même ordre d’idées, un auteur a pu soutenir que la dimension règlementaire de la convention collective était plus marquée s’agissant des conventions collectives conclues au niveau de la branche (CHAUCHARD 1984). On sait également que l’apparition d’accords dit donnant-donnant contenant des engagements relatifs en maintien de l’emploi a pu être analysée comme une résurgence de la figure du « contrat synallagmatique » (GAUDU et VATINET 2001). Enfin, en dernière approche, on peut également évoquer les analyses qui consistent à distinguer parmi les clauses de l’accord, celles qui relèvent de sa partie obligatoire de celles qui relèvent de sa partie normative.
Niveaux
Pensé initialement dans le seul cadre de l’entreprise, le dispositif de la convention collective s’est progressivement déployé aussi bien au-delà qu’en deçà de ses frontières. La loi du 24 juin 1936 a ainsi institué le niveau de la branche, celle du 11 février 1950 celui de l’établissement. Parfois, ce sont les interlocuteurs sociaux qui ont investi de nouveaux espaces de négociation que la loi a reconnu a posteriori en les érigeant au rang de niveau de négociation, le terme ayant été employé pour la première fois par la loi du 13 novembre 1982. Que l’on songe aux accords de groupe instaurés par la loi du 4 mai 2004 ou aux accords interprofessionnels admis par la loi du 13 juillet 1971. Ces niveaux font l’objet d’une reconnaissance légale et on associe à chacun d’entre eux un régime juridique plus ou moins distinct. Cette pluralité soulève des difficultés évidentes d’articulation. Le législateur les résout d’au moins deux manières. La première consiste à opérer une répartition des thèmes de négociation en fonction des niveaux. On sait ainsi qu’en vertu de l’article L. 2253-1 du code du travail, il est des thèmes qui relève de la compétence exclusive des négociateurs de branche. La seconde implique d’identifier une règle à mobiliser dans les hypothèses de conflit entre textes conventionnels. Le droit positif donne à voir un ordonnancement complexe des niveaux et des rapports de prévalence. Le principe de faveur ayant perdu de sa superbe et de son autorité, les règles d’articulation semblent, selon les niveaux et les thèmes de négociation, œuvrer en faveur d’une fragmentation des normes négociées liée à la décentralisation de leur production ou au contraire d’une recentralisation de cette dernière. Ces règles obéissent, bien entendu, à des choix et équilibres politiques sur lesquels il est difficile de mettre des mots. On notera simplement qu’il est commun d’observer aujourd’hui une perte de vitesse de la convention de branche par rapport à la convention d’entreprise, l’objectif étant notamment de favoriser la production d’une norme de proximité adaptée et adaptable à la situation de l’entreprise.
Fonctions
Au regard de ses fonctions, la convention collective n’est plus un simple mode de création d’avantages nouveaux au profit des salariés. Celle-ci serait devenue un outil de gestion de l’entreprise mis au service de la flexibilisation des conditions d’emploi et de travail. Favorisant ce passage, un ordre public dérogeable aurait pris place aux côtés de l’ordre public social, autorisant, dans les limites fixées par la loi, à s’en écarter peu important le cours donné à la négociation, que celle-ci soit plus ou moins favorable que la loi. De même, la loi, devenue dispositive, ouvre des facultés au profit des entreprises que seule une convention collective peut activer, donnant corps à l’hypothèse largement relayée de bilatéralisation de la négociation collective. Œuvrant encore davantage en faveur de la promotion du droit négocié, la loi du 8 août 2016 a inauguré un mode de rubriquage tripartite de la norme faisant la part belle à la négociation collective et reléguant la loi au rang de norme supplétive, particulièrement dans le domaine du temps de travail. Cet empire grandissant de la convention collective est délicat à discuter, voire à remettre en cause. En effet, l’emprise de la norme négociée serait pleinement légitimée par le renforcement d’exigences telles que l’exigence majoritaire, l’exigence de représentativité et la mise en avant du critère de l’audience électorale ou bien encore la promotion de la participation directe des salariés lorsqu’il leur est demandé, par leur vote, de ratifier un accord. Ce surplus de légitimité, discutable au demeurant (AUZERO 2018), permet même, aujourd’hui, aux « organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote » d’instaurer par voie conventionnelle des différences de traitement qui sont « présumées justifiées » (Soc. 27 janv. 2015, n° 13-22.179). On devine que derrière les discours qui prônent le consensus négocié, intrinsèquement bon en soi (LOKIEC 2015), c’est l’adossement de la convention collective au pouvoir de l’employeur qui menace. D’autant qu’à mesure que se développent des formes dérogatoires de conclusion des conventions collectives de travail, l’on peut, plus que jamais, douter de la réalité des négociations menées (V. déjà LYON-CAEN 1979) et du poids qu’ont dans ce processus les salariés ainsi que leurs représentants.
BORENFREUND G., « Pouvoir de représentation et négociation collective », Dr. soc., 1997, 1006.
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SOURIAC M.-A., Les accords collectifs au niveau de l’entreprise, thèse, Paris I, 2 tomes.
Ylias Ferkane
Décembre 2022