Caractérisation
Un groupement d’employeurs est une structure dotée d’une personnalité juridique qui peut être constituée sous la forme d’une association (relevant de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association) ou d’une société coopérative (relevant de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération). Il peut être composé de membres de nature diverse, à savoir des personnes physiques, des personnes morales de droit privé mais aussi des personnes morales de droit public.
A l’égard de ses membres, le groupement d’employeurs présente un double intérêt. D’une part, il met ses propres salariés à leur disposition exclusive. Autrement dit, le groupement offre ainsi un cadre organisationnel qui leur permet de se regrouper afin de bénéficier d’une main-d’œuvre qu’ils n’auraient pas, seuls, les moyens de recruter. D’autre part, depuis la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, un groupement peut aussi avoir pour objet d’apporter à ses membres une aide et des conseils en matière d’emploi ou de gestion des ressources humaines. Toutefois, ces activités de mise à disposition de salariés et de conseils précitées ne peuvent être effectuées que dans un but non lucratif. Sans doute peut-on déceler dans cette interdiction de rechercher un but lucratif un dessein du législateur de préserver les salariés du groupement de toute forme de réification. Cette absence de recherche d’un but lucratif des opérations réalisées permet de distinguer fondamentalement les groupements des dispositifs de mise à disposition de salariés à but lucratif au premier rang desquels les entreprises de travail temporaire, les entreprises de portage salarial, mais aussi les entreprises de travail à temps partagé.
Pour les salariés, l’intérêt de conclure un contrat de travail avec un groupement d’employeurs est de bénéficier d’un employeur unique en lieu et place d’une pluralité de contrats de travail à temps partiel ou saisonniers avec les différentes personnes juridiques qui composent le groupement. De plus, une circulaire DRT 94-6 du 20 mai 1994 encourage la conclusion de contrats de travail à durée indéterminée à temps plein. À cet égard, on peut dire qu’il s’agit d’un dispositif qui permet de sécuriser le parcours du salarié.
L’adhésion à un groupement permet aussi de mutualiser les risques à travers la responsabilité solidaire. En effet, les membres d’un groupement sont solidairement responsables de ses dettes à l’égard des salariés et des organismes créanciers des cotisations obligatoires. Néanmoins, les statuts des groupements peuvent prévoir, sur la base de critères objectifs, les règles de répartition de ces dettes entre les membres du groupement.
« Groupement d’employeurs » : une appellation trompeuse ?
La dénomination de « groupement d’employeurs » peut induire en erreur. L’appellation est trompeuse parce que l’usage du terme « employeur » au pluriel suggère une pluralité́ d’employeurs incarnés par les membres dudit groupement. Or, tel n’est pas le cas dans la mesur où seul le groupement endosse la qualité d’employeur : les membres n’étant que de simples utilisateurs. En effet, le groupement est identifié par l’article L. 1253-1 du Code du travail comme étant l’employeur contractuel des salariés. À ce titre, on dit du groupement qu’il est l’« employeur de droit » et le débiteur des principaux droits des salariés. Aussi serait-il plus juste de dire qu’il ne s’agit pas tant d’un regroupement d’employeurs, mais bien davantage d’un regroupement d’utilisateurs potentiels de salariés. Le législateur a usé ainsi d’une synecdoque lors de la création des groupements puisque l’expression la plus juste pour les désigner aurait été celle de « groupement d’utilisateurs » ou plutôt de « groupement-employeur ». En réalité, au-delà de son caractère trompeur, cette appellation ravive la problématique de l’identification de l’employeur véritable qui y apparait vraisemblablement comme « masqué ».
Sous une autre perspective, les membres peuvent être considérés comme des « employeurs de fait » ou « employeurs fonctionnels » puisque bien que n’étant pas juridiquement les employeurs des salariés, la prestation de travail est exécutée sous leur responsabilité et pour leur compte. Ainsi, si l’on prend en compte la qualité d’« employeur de fait » des membres du groupement, on peut estimer que cette appellation ne serait finalement pas si trompeuse et qu’il pourrait s’agir d’un « groupement d’employeurs (de fait) ».
Une relation de travail atypique
Le travail dans le cadre d’un groupement d’employeurs s’inscrit dans une logique triangulaire. En effet, les groupements donnent naissance à une sorte de ménage à trois dans lequel intervient, outre le salarié et le groupement, une entreprise utilisatrice qui, s’il est vrai qu’il récolte le fruit du travail du salarié n’est pas contractuellement liée au salarié. Paradoxalement, dans le cadre de la relation d’emploi liant contractuellement le groupement au salarié, aucune relation effective de travail n’existe entre les parties contractantes. On est ainsi dans une situation dans laquelle un employeur contracte avec un salarié qu’il n’emploie pas, et d’un utilisateur qui emploie un salarié avec lequel il n’est pas contractuellement lié. La relation de travail engendrée est ainsi qualifiée d’atypique dans la mesure où les salariés du groupement travaillent à l’extérieur de l’entreprise qui les emploie et se singularisent généralement par la multiplicité de leurs lieux de travail. Le salarié se place ainsi dans une situation de mobilité constante au sein des entreprises utilisatrices. Ce caractère atypique de la relation de travail explique sans doute le formalisme dont font l’objet les contrats de travail conclus par les groupements d’employeurs qui, outre l’exigence d’écrit, doivent comporter un certain nombre de mentions telles que la liste des utilisateurs potentiels du salariés et les lieux d’exécution du travail. Les salariés bénéficient également d’un certain nombre de garanties tant individuelles que collectives telles que l’égalité de traitement par rapport aux salariés des entreprises utilisatrices en matière de rémunération, d’intéressement, de participation, d’épargne salariale mais aussi d’un accès aux moyens de transport et aux installations collectifs dans les mêmes conditions que les salariés de l’utilisateur.
Un dispositif paradigmatique de la flexicurité?
Rétrospectivement, il n’est pas déraisonnable de présenter les groupements comme étant les précurseurs du concept de flexicurité. Cette dernière était, de fait, déjà appliquée dans les groupements qui sont nés en 1985. Or, l’idée d’articuler la flexibilité et la sécurité autour de la notion de flexicurité n’est officiellement apparue qu’à la fin des années 90 en Europe. Rappelons que la flexicurité peut être considérée comme un oxymore puisqu’équilibrant deux termes contradictoires : la sécurité de l’emploi et la flexibilité du travail. Le droit du travail doit garantir une certaine flexibilité aux entreprises pour leur permettre d’être compétitives et de faire face aux pressions du marché du travail. Seulement, la flexicurité se présente sous un jour différent en ce qui concerne les groupements. S’il en est ainsi, c’est parce que les groupements assurent aux entreprises adhérentes des formes spéciales de flexibilité qui sont recherchées dans un périmètre constitué par l’ensemble des entreprises utilisatrices du groupement. En effet, les adhérents d’un groupement ne sont pas en quête de formes de flexibilités dites « externes » c’est-à-dire celles qui permettent d’ajuster les effectifs en fonction des variations de production. En effet, à l’inverse des autres structures de mise à disposition, l’adhésion à un groupement d’employeurs ne s’inscrit pas dans une démarche de pure externalisation de la main-d’œuvre, mais vise un projet de mutualisation des ressources et des risques entre les membres. Leur adhésion est surtout motivée par la recherche de formes de flexibilités dites « internes ». Bien sûr, comme tout mécanisme de triangulation de la relation de travail, les groupements d’employeurs offrent d’abord une flexibilité fonctionnelle externe puisqu’ils permettent à l’utilisateur de ne pas avoir la qualité d’employeur. Toutefois, cette flexibilité fonctionnelle est souvent recherchée par les entreprises utilisatrices de petite taille qui ne peuvent assumer seules une relation salariale. En revanche, les entreprises utilisatrices de grande taille sont davantage intéressées par la recherche d’une flexibilité dite « quantitative interne » en reconstituant, grâce à la mutualisation, un marché interne entre des entreprises normalement concurrentes, mais proches d’un point de vue géographique. Les groupements leur offrent aussi une forme de flexibilité dite « fonctionnelle interne » puisque les salariés de ce marché interne sont dotés d’une grande polyvalence. Par ailleurs, la sécurité de l’emploi qui avait pour objectif de protéger la partie faible tend aussi depuis quelques années à favoriser une circulation des salariés sur le marché du travail. Les salariés des groupements d’employeurs sont également confrontés à cette problématique. D’ailleurs, les concernant, des sociologues du travail considèrent qu’ils ne bénéficient pas réellement d’un emploi de qualité du fait de leur mobilité.
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Décembre 2022