La rémunération est une notion complexe et relative, peu définie juridiquement. Difficile à différencier du salaire, elle relève de différents régimes juridiques, selon l’objet considéré. Ainsi, le code du travail en donne une définition à l’article L. 3221-3, à propos de l’obligation d’égalité salariale entre les hommes et les femmes, dans les termes suivants : « Constitue une rémunération au sens du présent chapitre, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum et tous les autres avantages et accessoires payés, directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au salarié en raison de l’emploi de ce dernier ». Il s’agit donc de toutes les sommes ou avantages versés en contrepartie de la relation contractuelle de travail, et non, seulement, en contrepartie du travail. Cette approche large invite à l’étude de la notion dans sa globalité pour tenter d’en définir le sens et la portée, mais également de saisir les transformations qui l’affectent.
De quoi la rémunération est-elle la contrepartie ?
Traditionnellement, la rémunération s’envisage comme la contrepartie du travail, au sens civiliste du terme. Suivant cette conception, la Cour de cassation a initialement jugé que l’objet de la rémunération était lié au résultat de l’activité du travail. Cependant, elle a fait évoluer sa jurisprudence (Soc. 28 fév. 1962, Bull. Civ. V, n° 231) en considérant que la rémunération était due dès que le salarié s’était tenu à disposition de l’employeur. Désormais, donc, la rémunération trouve sa cause, non pas seulement dans l’exécution de la prestation de travail, mais dans le fait, pour le salarié, de mettre à la disposition de l’employeur sa force de travail. La rémunération constitue ainsi la contrepartie du temps contraint par la subordination. La Cour a tiré de cette interprétation une forme de principe qu’elle applique en d’autres situations. Ainsi, à propos de la requalification des contrats à durée déterminée ou de mission en contrat à durée indéterminée, elle considère que « le salarié peut obtenir le paiement de salaires au titre de périodes d’inactivité séparant des CDD requalifiés ensuite en CDI s’il s’est tenu à la disposition de l’employeur pendant les périodes intermédiaires » (Soc., 9 déc. 2009, no 08-41.737). De même, à propos de la requalification des contrats à temps partiel en temps complet, la Chambre sociale de la Cour de cassation juge que le non-respect des conditions du contrat à temps partiel constitue une présomption simple de contrat de travail à temps complet (Soc. 14 mai 1987, n° 84-43.829). Pour renverser cette présomption simple, l’employeur doit démontrer, d’une part, « la durée exacte du travail convenu et la répartition entre les jours de la semaine ou entre les semaines du mois » (Soc., 12 nov. 1997, n° 95-41.746) et d’autre part, l’employeur doit prouver que « le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il n’avait pas à se tenir constamment à la disposition de l’employeur » (Soc., 15 sept. 2010, n° 09-40.473) En conséquence, indépendamment même de la réalisation d’une tâche, la rémunération est due dès lors que le salarié s’est tenu dans l’aire de la subordination et du pouvoir de l’employeur.
Reste cependant que la « la multiplication moderne des formes de rétribution » (LYON-CAEN, 1981) invite à considérer que la rémunération peut s’envisager comme la contrepartie d’un « au-delà » du travail, dans le sens où certaines sommes ne sont pas versées en contrepartie du travail effectué du salarié, ni même de la mise à disposition de la force de travail. Ainsi la Cour de cassation juge-t-elle, à propos de la prime d’assiduité que cette prime, qui « tend à encourager et à récompenser la présence régulière des salariés, n’est pas la contrepartie d’un travail déterminé » (Soc. 3 oct. 1980, Bull. civ., V, n° 705). Elle constitue pourtant un élément de la rémunération. De même, concernant la prime d’ancienneté, la Cour décide que cette prime « n'[est] pas [versée] en contrepartie du travail, mais pour récompenser la stabilité » (Soc., 23 avril 1997, n°94-41.701). Également, en matière de temps de pause, pour lesquels la Cour de cassation juge que « dès lors que les salariés ne sont pas à la disposition de l’employeur pendant les pauses, les primes les rémunérant, qui ne sont pas la contrepartie du travail, sont exclues du salaire devant être comparé au SMIC et, à défaut de stipulation conventionnelle contraire, de celui à comparer au salaire minimum mensuel garanti » (Soc. 17 oct. 2012, n° 11-15.699). Pour ces dernières primes, si elles sont exclues de la détermination de l’assiette du SMIC, elles sont toutefois partie intégrante de la rémunération. Apparaît alors une forme de déconnexion entre le travail et la rémunération. G. LYON-CAEN constatait déjà que « le salaire [est devenu] le traitement attaché à un emploi » (LYON-CAEN, 1981). Se pose alors la question de savoir si la rémunération n’est pas en réalité la conséquence d’un lien d’emploi. Selon M. P. ANCEL « un accord de volonté peut produire trois types d’effets : il peut éteindre un droit, le transférer ou encore créer un droit ou une situation juridique nouvelle » (ANCEL, 1999, p. 771). Le lien d’emploi appartient au troisième type d’effet, lien qui trouve sa source dans le contrat de travail et justifie les sommes versées au salarié. La rémunération s’apparente alors comme la contrepartie du lien d’emploi. Reste la question de savoir s’il faut traiter les sommes versées en dehors de toute prestation de travail comme une rémunération. La réponse est résolument positive. En effet, les substituts de la rémunération, financés par les cotisations sociales, sont en réalité prélevés sur la rémunération du travail. Il y a deux grandes catégories de revenus de substitution : les revenus de remplacement et les allocations. Les revenus de remplacement sont des revenus indirects versés par l’employeur et par un tiers. Les allocations sont des sommes versées en cas d’activité partielle et en cas de perte totale d’emploi par un organisme spécialisé.
La notion de rémunération est élargie dans son concept mais également bouleversée dans ses fonctions. En effet, la rémunération peut être un instrument de protection pour le salarié mais encore un instrument de performance économique et sociale pour l’employeur.
Le renouvellement des fonctions de la rémunération
Prolongeant l’analyse, on peut s’interroger sur les fonctions de la rémunération, et tenter de comprendre les métamorphoses dont elle serait ou pourrait être l’objet. Traditionnellement, on considère que le salarié est conscient de ce qu’implique l’échange du travail contre le salaire. Le salarié trouverait dans la rémunération une protection contre le risque économique (GENIAUT, 2017). Cependant, il existe aujourd’hui une forme de remise en cause du partage des risques et profits par différents mécanismes permettant le transfert du risque vers les salariés (LYON-CAEN, 1996).
Le salarié trouve une protection, par exemple, dans la mensualisation de la rémunération. Les premières mesures sur la date de versement du salaire ont été édictées en 1909. Pour l’ouvrier, le salaire devait être payé tous les huit jours, tous les quinze au plus, alors que pour l’employé, le salaire devait être payé au moins une fois par mois. Cette pratique avait conduit à de grandes inégalités sociales. En effet, le salaire de l’employé était fixé pour un mois de travail, indépendamment du nombre de jours ouvrables que comporte un mois. Ainsi, le nombre de jours ouvrables était sans effet sur le salaire des employés (LYON-CAEN, 1981, p. 213), alors que le salaire de l’ouvrier était calculé en fonction d’un taux horaire de base et du temps de travail effectué. Les confédérations syndicales analysaient la mensualisation comme une rémunération d’appartenance à l’entreprise. Pendant la campagne présidentielle de 1969, une grève avait éclaté dans une sidérurgie lorraine. Les ouvriers exigeaient la mensualisation. Georges Pompidou, candidat à la Présidence de la République, s’était saisi de cet événement et avait promis alors de réduire, « ce fossé qui sépare en quelque sorte l’élite, qu’on appelle les mensuels de l’infanterie, la piétaille qu’on appelle les horaires. Désormais, nous devons tendre à ce que tout le monde soit payé au mois y trouve un meilleur niveau de vie, plus de sécurité, et […], plus de dignité. ». Du côté des employeurs, si ceux-ci n’étaient pas par principe opposés à une généralisation de la mensualisation, c’était à la condition de ne pas remettre en cause les « distances sociales » entre les ouvriers et les autres salariés qui fondaient les hiérarchies dans les entreprises. Le 20 avril 1970, cependant, une déclaration commune intervint de la part des organisations syndicales patronales et ouvrières dans le sens d’une mensualisation accrue des salaires. En 1977, un accord national interprofessionnel a proposé de généraliser la mensualisation. Le législateur a repris le contenu de l’ANI et a garanti aux ouvriers non encore mensualisés des droits identiques à ceux des mensuels.
Ainsi, la mensualisation est un droit qui permet aux salariés de bénéficier d’une certaine stabilité salariale et d’une garantie mensuelle minimale en cas de réduction du temps de travail. En outre, la mensualisation a permis de dépasser une stricte indexation sur la quantité effective de travail réalisé, au nom de la nécessaire régularité du revenu, et elle a eu nombre de conséquences juridiques, notamment concernant le paiement des jours fériés, le régime des indemnités de maladie, les indemnités de maternités, la prime d’ancienneté, les indemnités de licenciement, l’allocation de départ en retraite.
Aujourd’hui, cependant, le caractère forfaitaire de la rémunération, notamment liée à la mensualisation, semble en passe d’être relativisé. On prendra ici l’exemple des clauses de variation de la rémunération. La jurisprudence n’invalide pas la pratique qui permet de contractualiser les objectifs financiers de l’entreprise et de faire varier la rémunération. En effet, depuis un arrêt Fidal du 2 juillet 2002 (Soc. 2 juillet 2002, n° 00-13.111), la Cour de cassation a posé trois conditions à la validité des clauses de variation. D’abord, la clause doit être fondée sur des objectifs indépendants de la volonté de l’employeur. Les éléments déterminant la variation doivent donc être suffisamment clairs et précis et ne doivent pas dépendre de la volonté de l’employeur. Cette condition, cependant, doit être relativisée, dès lors notamment que l’employeur demeure seul juge de la détermination des objectifs salariaux conditionnant le montant de la rémunération variable. La Cour de cassation juge simplement que, si les objectifs sont définis unilatéralement par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, il peut les modifier mais à la condition qu’ils soient réalisables et portés à la connaissance du salarié en début d’exercice (Soc. 2 mars 2011, n° 08-44.977). La deuxième condition impose que la clause ne fasse pas porter le risque de l’entreprise sur le salarié. Cette condition est à relativiser comme le constate un auteur, car « les clauses de variation entraînent de facto un transfert d’une partie du risque de l’entreprise sur le salarié. En effet, qu’est-ce qu’une clause du contrat qui lie une partie de la rémunération à l’évolution du chiffre d’affaires de l’entreprise ou à la réalisation d’objectifs, sinon une clause qui comporte un transfert de risque » (WAUQUIER, D. 2003, p. 391). Cependant, cette condition a une portée utile en effet dans un arrêt du 15 mars 2017 la Cour a jugé qu’une clause, qui prévoit une diminution du taux de commissions calculé sur la marge brute de la totalité des ventes réalisées par le salarié, ne fait pas porter le risque de l’entreprise sur le salarié (Soc. 15 mars 2017, n° 15-19.774). La dernière condition est que la clause n’a pas pour effet de réduire la rémunération en-dessous des minimas légaux et conventionnels. Ainsi qu’il a été soutenu, l’incertitude du résultat de l’activité économique repose en principe sur l’employeur et non sur le salarié (PASQUIER, 2010). Cependant, la rémunération au rendement est redevenue un instrument de gestion des ressources humaines fondé sur l’autonomie dans le travail (SUPIOT 2000). Même si les objectifs font l’objet d’un accord entre les parties au contrat de travail, « il n’y a pas d’engagement du salarié d’atteindre un résultat mais simple contractualisation des attentes de l’employeur » (BERTHIER, 2014). Cependant, les résultats du salarié et ses insuffisances pèsent sur sa rémunération globale par le biais de clauses de variation. En conséquence, le transfert partiel des risques de l’activité économique de l’entreprise se traduit par une incertitude sur le montant de la rémunération. Comme le constate Mme D. PALLANZTA, « le caractère forfaitaire de la dette de salaire revêt alors une certaine propension à l’atténuation, traduite en la matière par divers mécanismes de variabilité extrinsèques liés à la marche économique de l’entreprise. » (PALLANTZA, 2014, p. 192).
Outre les clauses de variation de la rémunération, les nouvelles politiques de rémunération des ressources humaines accroissent ce transfert de risques et atténuent le caractère forfaitaire de la rémunération en faisant participer les salariés à l’entreprise par le biais de l’actionnariat salarié et de l’épargne salariale. Les employeurs trouvent donc dans la rémunération un instrument à la fois économique et sociale mais également un instrument de fidélisation et d’intégration. M. A. SUPIOT en déduit que le salarié deviendrait comme « autonom[e] dans la subordination » (SUPIOT, 2000, p.131)
Ainsi, la rémunération comme instrument de performance économique et sociale conduit à faire du salarié un « salarié-partenaire » (BERNARD, 2020). L’étude du renouvellement des fonctions de la rémunération invite à considérer que, derrière la rémunération, c’est également d’une transformation de la figure du salarié elle-même dont il est question.
Dès lors, la notion de rémunération est à la fois élargie dans son concept et bouleversée dans ses fonctions.
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Kévin Lachal
Décembre 2022