La mobilité, notion extra-juridique, est un outil de réflexion sur l’évolution des modèles productifs sous-jacents aux règles de droit social et sur le modèle d’emploi qui y est associé (Pour une définition des modèles productifs, v. BOYER, FREYSSENET 2000). Produit d’un « travail de normalisation » (BORJA, COURTY, RAMADIER 2013) auquel les juristes participent pleinement, la mobilité constitue un outil de réflexion à leur disposition lorsqu’elle est associée à un positionnement critique.
En effet, confronté à l’étude des phénomènes de mobilité, le juriste fait face à une alternative. Soit le choix peut être effectué de décrire les pratiques des entreprises, consacrées dans un ensemble de dispositifs légaux ou conventionnels, qui se rattachent peu ou prou à l’idée d’une évolution qui affecte l’emploi. Une telle démarche permet de cartographier à un temps donné un ensemble de mécanismes qui contribuent à légitimer un changement dans l’emploi ou un mouvement vers un nouvel emploi. Soit le choix peut être fait de rendre compte des changements qui affectent le paradigme de l’emploi stable dans une entreprise unique, hiérarchique, dotée de la personnalité morale, dont la situation a été à l’origine pensée dans un contexte national, autrement dit des changements qui affectent le modèle d’emploi sur lequel s’est construit le droit du travail. Une telle approche n’occulte ni l’histoire de la construction du droit social, ni la diversité des mobilités qui peuvent affecter plusieurs éléments de l’emploi, ni les risques qui leur sont associés, en raison d’un possible transfert d’une partie de ceux-ci sur les épaules du salarié.
Ainsi comprise la mobilité possède trois vertus. Elle est, d’abord, une invitation à la vigilance. Pièce centrale du « nouvel esprit du capitalisme » (BOLTANSKI, CHIAPELLO 1999), la mobilité est fondamentalement une injonction de la société qui reste profondément inégalitaire (FRITSCH 2013). Il appartient dès lors au juriste de révéler les normes et les techniques juridiques qui contribuent à accentuer cet effet de la mobilité ou à l’inverse à y remédier. Elle est, ensuite, une invitation à la catégorisation : les termes « mobilité géographique », « mobilité fonctionnelle », « mobilité intra-groupe », « mobilité internationale », s’ils sont fréquemment employés par les juristes, désignent des changements de nature et d’ampleur très diverses et en conséquence la mise en œuvre de mécanismes juridiques très divers également. Il en ressort plusieurs types de mobilité, offrant une classification juridique qui ne recoupe ni celle des sociologues ni celle des économistes. Elle est, enfin, une invitation à l’identification des risques qui lui sont liés: si certains sont inhérents à son contexte de développement, d’autres peuvent en revanche être artificiellement créés si elle est instrumentalisée.
La mobilité : une invitation à la vigilance
Que la mobilité soit une injonction à l’égard des travailleurs, il est difficile d’en douter. Nombreux sont les travaux des sociologues à l’avoir confirmé. Aussi, s’il est observé que la mobilité va de soi pour certaines élites (notamment internationales), il est en revanche constaté qu’elle est le plus souvent une « chance de survie » pour la plupart des salariés « contraints de s’accommoder aux aléas du marché du travail », voire refusée à certaines catégories de population, comme les migrants non européens (FRITSCH 2013). Par ailleurs, que le droit de la mobilité ne puisse être réduit à une adaptation du droit à des pratiques d’entreprises, même s’il peut certainement être souhaité de celles-ci qu’elles soient vertueuses, il est également difficile de l’ignorer. La mobilité accompagne toujours, en effet, un changement de paradigme de l’emploi. Gérard LYON-CAEN, à l’occasion d’un numéro spécial sur la mobilité dans la revue Droit social, avait pu exprimer ces deux idées dans les termes suivants : « À un modèle de relation de travail, se substitue devant nos yeux un modèle différent (…). Modèle A. L’emploi est stable. Ceci correspond à la fois à l’aspiration du salarié et à l’intérêt de l’entreprise. Le salarié reçoit des avantages en fonction de son ancienneté. L’entreprise souhaite que la main d’œuvre « ne tourne pas », mais soit fidèle. (…). Modèle B. Le capital est mobile, délétère, fugace : il s’investit, se désinvestit. Les propriétaires changent ou sont mal connus. Le travailleur salarié, surtout si l’on monte vers le haut de l’échelle, est invité lui-même à la mobilité ; à changer de qualification ; à changer de lieu de travail ; à passer d’une filiale à une autre.» (LYON-CAEN 1989). L’auteur précisait : « Cependant, il est plus facile de transférer l’argent, de délocaliser l’emploi que de déplacer l’homme (…) L’homme a des racines, l’argent non. Si donc les procédés techniques employés pour parvenir à la mobilité sont de plus en plus sophistiqués (…), on va se heurter à des résistances ; on va atteindre assez vite les limites du Droit ; les risques étant de glisser de la mobilité à la mobilisation » (Ibid.). Et d’ajouter : « et la mobilisation … c’est quand même la guerre » (Ibid.).
En cela, la mobilité n’a pas le naturel que l’on veut bien lui prêter parfois. Force est de reconnaître qu’un changement de lieu de travail (mobilité dite géographique) est susceptible d’affecter in fine le lieu du domicile du salarié, et donc de son foyer. Une promotion (mobilité dite fonctionnelle), source de plus grandes responsabilités, peut tout à fait ne pas être désirée à un moment donné de la carrière du salarié. En réalité, la mobilité est plutôt subie : elle l’est à cause de la menace qui pèse en permanence sur l’emploi (si le refus d’une modification du contrat de travail ne peut jamais constituer une raison valable de licencier un salarié, l’employeur peut toujours invoquer un motif économique pour justifier le licenciement) ou encore de la nécessité de trouver un emploi (pensons aux travailleurs qui circulent au sein de l’Union européenne). De plus, le droit de refus parfois accordé au salarié n’est pas toujours effectif. Tel est le cas du refus d’un changement de lieu de travail opposé par le salarié sur le fondement de la protection due à sa vie personnelle et familiale dont l’effectivité semble conditionnée, dans le cadre du contrôle de proportionnalité, par l’appréciation du caractère exceptionnel ou de la « normalité » de la situation invoquée (V. Soc. 14 février 2018, n°16-23042, illustrant une appréciation restrictive de l’atteinte à la vie familiale). Un droit d’opposition est même parfois dénié au salarié : ainsi du salarié dont le contrat de travail est transféré dans les conditions de l’article L. 1224-1 C. trav., en dépit de l’ « envers » de cette règle (V. not. SUPIOT 2006 ; CHAGNY, RODIERE 2007).
Pourtant, la mobilité est de plus en plus admise, en ce sens que la situation du salarié devrait nécessairement évoluer au soutien des besoins économiques de l’entreprise. L’exemple le plus frappant est le rôle attribué à l’accord de performance collective. Le refus du salarié d’une modification de son contrat résultant de l’application de l’accord peut entrainer un licenciement spécifique. Le salarié bénéficie alors d’un abondement de son compte personnel de formation (CPF) d’un montant minimal de 3 000 euros. Autrement dit, à défaut d’adhérer aux besoins de l’entreprise et d’être mobile avec elle, le salarié est incité à se former pour être mobile sur le marché du travail. Une forme de sécurité, dit-on, répond ici à une forme de flexibilité ; en réalité, deux mobilités imposées se succèdent – la dernière étant supposée être sécurisée du fait de l’existence d’un droit à l’accompagnement par le Conseil en évolution professionnelle.
La mobilité : une invitation à la catégorisation
Les objets de la mobilité. La mobilité en droit du travail désigne, de la manière la plus évidente, un changement dans les conditions d’emploi du salarié. L’employeur cherche à modifier des éléments sur lesquels il s’est mis d’accord avec le salarié au moment de l’embauche, qu’il s’agisse de son lieu de travail, inscrit dans un certain secteur géographique, ou des fonctions qu’il lui a confiées. Il peut également chercher à se préserver en amont, par la prévision d’une clause contractuelle, un espace de changements. En cela, la mobilité renvoie à des régimes juridiques bien connus : ceux de la modification du contrat de travail et du changement des conditions de travail. Elle renvoie à une terminologie tout aussi connue : la « mobilité géographique » et la « mobilité fonctionnelle ». L’étrangeté tient à ce que, à côté de ces mobilités, se trouvent des variations des éléments de l’emploi que l’on ne qualifie jamais de mobilité et qui relèvent pourtant bien des mêmes régimes : on parle plutôt de variation de la rémunération ou du temps de travail. En outre, la mobilité désigne bien d’autres choses : sont usités en doctrine, dans les textes légaux ou conventionnels, voire dans des décisions de justice, les termes de « mobilité professionnelle », de « mobilité internationale », de « mobilité interne », de « mobilité externe » et même de « mobilité juridique ». En définitive, à travers l’usage du mot mobilité, est toujours visé un changement affectant l’emploi, mettant en cause la stabilité de ce dernier.
En s’intéressant de plus près à l’objet de la mobilité, il est cependant possible d’en dégager trois types. Alors que les deux premiers types appartiennent à la catégorie des mobilités « dans l’emploi » ; pour le troisième, on parlera de mobilité « vers l’emploi » (Sur cette distinction, LYON-CAEN 1991).
Le premier type de mobilité met en cause la stabilité du contrat de travail alors que le salarié garde a priori son emploi dans la même entreprise. À cet égard, le « droit de la mobilité » appartient à un ensemble plus vaste qui est le « droit de la modification du contrat de travail ».
Le deuxième type de mobilité met en cause la stabilité du rapport de travail qui, « mobile », se déploie en dehors d’une entreprise, soit d’une entité organisée dotée d’une certaine autonomie, vers une autre (Sur les entreprises comme systèmes juridiques singuliers, MIHMAN 2022 a). Ce déploiement est temporaire (mise à disposition, détachement), le cas échant avec une suspension de « l’exécution du contrat de travail » selon les termes de l’article L. 1222-12 du Code du travail (relatif à la mobilité volontaire sécurisée), ou définitif (transfert). Les normes applicables au rapport de travail mobile sont alors susceptibles d’être modifiées ; les personnes habilitées à exercer des prérogatives de pouvoir sur le salarié sont également affectées par le déploiement du rapport de travail. Autrement dit, la mobilité est caractérisée par un possible changement de normes et par l’intervention de nouvelles personnes destinataires de ces normes. Du fait de la nature de ces changements, la mobilité peut être dite « juridique » selon l’expression née sous la plume d’Antoine LYON-CAEN ; la mobilité est dite « juridique » car le changement « s’accompagne d’un possible changement de règles en raison de l’emprise limitée dans l’espace des normes juridiques » : elle est une mobilité « par changement du droit applicable » dans la continuité d’un rapport de droit (À propos de la mobilité internationale, LYON-CAEN 1989 ; pour un usage plus général, MIHMAN 2022 a). À cet égard, le droit de la mobilité se recoupe avec le droit de la « mise à disposition », du « détachement » et du « transfert ». Il s’agit d’un droit encore en construction. À titre d’exemple, les emprunts à la cession de contrat en matière de transfert volontaire sont toujours très discutés (V., par ex., MOULY 2022). Autre illustration : en cas de mise à disposition, la double intégration du travailleur à des collectivités de travail n’est pas pleinement aboutie en l’état du droit (V. MIHMAN 2022 a).
Le troisième type de mobilité met en cause l’existence même du rapport de travail. Le salarié doit quitter son emploi pour se diriger vers un autre emploi. Pour ce faire, il est notamment appelé à mobiliser les dispositifs du droit de la formation professionnelle, en particulier son compte personnel de formation. La personne du salarié devient mobile sur un marché du travail que l’on entend être plus dynamique (V. à propos du Compte Personnel d’Activité dont l’objectif est de lever « les freins à la mobilité », VACARIE 2016). Cette mobilité s’inscrit dans le discours sur la « flexisécurité » et sur la sécurisation des parcours professionnels. Une question demeure toutefois pendante : garantir la capacité du salarié à se former peut-il être réalisé à travers des dispositifs qui s’éloignent de la notion d’emploi, d’un emploi inscrit dans une organisation productive ? (LUTTRINGER 2022). Dans ce cas, ne transfère-t-on pas nécessairement le risque de l’employabilité sur le salarié, qui est sommé d’être proactif pour « s’en sortir » (LE BRETON 2005) ? En cela, la mobilité est susceptible de devenir un instrument de transfert de risques (Voir ci-dessous).
La mesure du changement. Les distinctions précitées sont opérantes pour l’analyse du droit positif car elles permettent de déterminer la nature du changement et donc son ampleur. Ainsi, une mobilité, en apparence simplement « géographique » car elle ne semble concerner que le lieu de travail du salarié, peut en réalité cacher une mobilité « juridique » du rapport de travail. En ce sens, une « mobilité géographique » auprès d’un établissement autonome ne devrait-elle pas être qualifiée de mobilité « juridique » dès lors que les conventions et accords collectifs applicables à cet établissement seraient distincts ? De même, dans l’appréciation du secteur géographique, les juges ne devraient-il pas tenir compte du potentiel changement dans les normes applicables dès lors que les conventions collectives de branche ne sont pas toujours nationales ?
La portée du changement. Ces distinctions sont également essentielles car elles permettent de faire ressortir la spécificité des opérations juridiques qui découlent de certains phénomènes de mobilité. En particulier, le déploiement du rapport de travail entre deux pôles juridiques, correspondants à deux espaces normatifs : organisations productives ou États, crée une situation d’incertitude du fait de la vocation de plusieurs systèmes juridiques à saisir le rapport de travail et à lui appliquer ses propres normes. En raison de l’emprise limitée dans l’espace des normes juridiques, les rapports de travail, lorsqu’ils sont juridiquement mobiles, entrainent la mise en œuvre d’opérations de coordination spécifiques :
-Une coordination des normes applicables aux, ou créées dans, les organisations productives, tout d’abord. Cette coordination a vocation à assurer l’intégration du travailleur dont le rapport de travail est mobile entre deux collectivités de travail.
-Une coordination des prérogatives juridiques qui y sont exercées, ensuite. Cette coordination découle de la précédente : parce que des normes s’appliquent dans deux organisations productives distinctes, ceux qui ont la maîtrise de ces espaces se doivent d’agir et de se coordonner. Aussi, les fonctions d’employeur se répartissent, se dédoublent et s’articulent entre plusieurs maîtres des organisations, remettant en cause le dogme de l’unicité de l’employeur (LYON-CAEN, MAILLARD 1981 ; v. égal. PRASSL 2014 et MIHMAN 2022 a).
Ces changements induits par la mobilité des rapports de travail met à l’épreuve la capacité du salarié à maîtriser sa mobilité. Il en résulte une attention particulière portée au consentement et à l’information préalable de ce dernier (MIHMAN 2022 a).
-Une coordination des coordinations prévues à des niveaux nationaux, enfin. La combinaison d’une pluralité de méthodes issues du droit international privé et du droit de l’Union européenne offre, d’une part, la possibilité de retrouver la complétude d’un régime du rapport de travail qui se déploie simultanément entre plusieurs espaces normatifs (territoires étatiques et organisations productives), de l’envisager dans sa pluralité de rattachements. Elle offre, d’autre part, une voie de prise en compte des risques inhérents à la mobilité internationale. Rendant la situation du salarié en son entier dépendante de sa condition professionnelle, cette mobilité peut effectivement être la source d’un assujettissement étendu et prégnant (Pour une typologie des risques générés par la mobilité internationale, MIHMAN 2021). C’est pourquoi plusieurs risques liés à l’activité de l’entreprise sont pris en charge au titre des méthodes unilatéralistes : les risques pesant sur la protection sociale du salarié, sur sa santé et sa sécurité ainsi que sur son emploi (MIHMAN 2022 a. V. égal. RODIERE 2022). Les mobilités sont à ce titre une invitation à identifier et circonscrire les risques qu’elles génèrent, plus encore à évaluer le risque même de leur transfert sur les salariés.
La mobilité : une invitation à évaluer l’existence d’un transfert de risques sur les salariés
La mobilité comme instrument de l’affaiblissement du droit. Le rapport de travail a pour assise un certain modèle productif. Les rapports de travail juridiquement mobiles peuvent donner lieu à des stratégies de contournement des exigences juridiques. Le premier contournement possible est celui lié aux risques qui pèsent traditionnellement sur l’employeur. L’un des traits distinctifs du droit du travail tient en effet à ce que celui qui bénéficie de la force de travail d’autrui assume certains risques liés à l’activité productive, qu’il s’agisse des risques économiques ou des risques d’atteinte à l’intégrité de la personne du travailleur. C’est pourquoi les dispositifs permettant d’élargir l’assise organisationnelle du rapport de travail ont pu être envisagés comme des instruments permettant aux entreprises d’échapper à leurs responsabilités. Le second contournement est lié à la concurrence des droits. En déployant le rapport de travail vers d’autres espaces, les organisations productives chercheraient à jouer des frontières et à bénéficier de l’environnement normatif qu’elles jugent le plus adapté à leurs intérêts. En effet, dès lors que les mobilités européennes et internationales augmentent, sont irrésistiblement mises en concurrence les matérialités des législations des systèmes juridiques nationaux ainsi que les ordonnancements des relations du travail qui leur sont sous-jacents. Dans un contexte de globalisation, c’est-à-dire d’extension des logiques du marché, existe ainsi un véritable risque de libération du pouvoir d’organisation des mobilités au profit des entreprises, et d’affaiblissement corrélatif des États.
La mobilité comme révélateur de la construction des espaces. À cet égard, il faut souligner que la mobilité est un révélateur. La mobilité n’est pas la manifestation d’un simple mouvement dans un espace, elle contribue à la construction de cet espace : ainsi, le droit de la mobilité européenne participe de la construction de l’Union européenne et de son degré d’intégration des personnes. En d’autres termes, les textes et les solutions jurisprudentielles issues des contentieux relatifs à la mobilité européenne dans l’emploi, dans ses aspects de droit du travail et dans ses aspects de droit de la protection sociale, sont autant d’éléments qui donnent des indications quant au degré d’intégration des travailleurs dans les différents espaces de l’Union européenne (Sur ces espaces pluriels (collectif de travail, ordre social et communauté nationale), AZOULAI 2019). En particulier, la Cour de justice, lorsqu’elle favorise la diffusion des exigences de réalisme et d’égalité de traitement face à la libre prestation de service, réinscrit les travailleurs dans les frontières de l’organisation qui bénéficie effectivement de leur force de travail (V. MIHMAN 2022 b).
La mobilité et le choix d’un modèle productif. Nous ne pouvons que constater que les mobilités internationales, en particulier intra-européennes, ne sont pas étrangères au développement des formes d’externalisation de l’activité et d’extériorisation de la main-d’œuvre, éloignant parfois les personnes des protections qui leur sont dues en raison de leur travail. En cela la mobilité internationale, avec ses opérations de coordination des normes, n’a pas toujours la neutralité que l’on veut bien souvent lui attribuer. Les régimes des rapports de travail mobiles, y compris internationaux, reflètent le choix d’un modèle de production. La Cour de justice de l’Union européenne l’a bien compris n’admettant pas, dans un arrêt rejetant les recours en annulation formés par la Hongrie et la Pologne contre la directive (UE) 2018/957 (aff. C-620/18), que les règles du régime du détachement puissent servir de ressources pour bâtir la compétitivité économique des entreprises – voire pour certaines leur modèle économique. La Cour de justice affirme par suite que la concurrence entre les entreprises peut s’opérer sur la base des compétences des travailleurs et non sur le seul coût du travail. En cela, elle montre bien que la construction des régimes des rapports de travail mobiles repose sur un choix entre des modèles productifs, nationaux mais aussi européens : l’innovation des organisations productives européennes impliquent bien une mobilité … mais une mobilité des compétences (V. MIHMAN, ROCCA 2021).
La mobilité est donc une formidable notion pour analyser la diversité des mouvements affectant l’emploi dans le temps ou dans l’espace : elle n’est toutefois pas un objet fixé mais en construction – imprégné de discours, de choix et d’enjeux – qui invite en définitive à l’enquête.
AZOULAI L., « Mobilité, collectivité, territorialité (aspects de droit social de l’Union européen », in Liber amicorum en hommage à Pierre Rodière, LGDJ, 2019, p. 11.
BOLTANSKI L. et CHIAPELLO E., Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999.
BORJA S., COURTY G. et RAMADIER T., « « Mobilité » : la dynamique d’une doxa néolibérale », in S. Borja, G. Courty, T. Ramadier (dir.), « Approches critiques de la mobilité », Regards sociologiques 2013, n° 45-46.
BOYER R. et FREYSSENET M., « I / L’engendrement des modèles productifs : un schéma d’analyse », in Robert Boyer (éd.), Les modèles productifs, La Découverte, 2000, pp. 6-25, spéc. n° 54 s
CHAGNY Y. et RODIERE P., « Faut-il reconnaître au salarié la faculté de refuser le transfert de son contrat de travail ? », RDT 2007, p.216.
FRITSCH Ph., « Les équivoques de la mobilité, comme catégorie pratique et comme norme « à pas variable » », in S. Borja, G. Courty, T. Ramadier (dir.), « Approches critiques de la mobilité », Regards sociologiques 2013, n° 45-46.
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MIHMAN N., « Le salarié face à la mobilité internationale », in J.-M. Jude et J. Dechepy (sous la dir.), Les enjeux de la mobilité, Institut Francophone pour la Justice et la Démocratie, Colloques & Essais, 2021.
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MIHMAN N., « La mobilité internationale des travailleurs : quel(s) principes ? quelle(s) intégration(s) ? in K. Chatzilaou et N. Mihman (sous la dir.), La figure du travailleur à l’épreuve de l’internationalisation du droit du travail, Lextenso, coll. « Lejep », 2022, p. 91.
MIHMAN N. et ROCCA M., « Controverse : Quelle approche juridique de la mobilité du travail en Europe ? », RDT 2021, p. 151.
MOULY J., « Le transfert de salariés n’emporte pas de plein droit transmission des obligations de l’ancien au nouvel employeur », Dr. soc. 2022, p. 467.
RODIERE P., Droit social international et européen, LGDJ, 2022.
Nathalie Mihman
Décembre 2022